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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/383

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un jour visiter ensemble ce beau pays, qui me tient aussi au cœur par toute sorte de ricordanze, comme vous dites dans la langue de l’Arioste et du Tasse.

— Oh ! jamais, répondit le chevalier en poussant un soupir.

— Voilà un mot bien téméraire, répliqua Mme de Narbal en riant et en se levant de table.

Le chevalier offrit le bras à Mme Du Hautchet, qui paraissait ravie des attentions qu’avait pour elle l’étranger.

Après le dîner, qui avait eu lieu de bonne heure selon l’usage existant alors dans les petites villes d’Allemagne, on fut se promener dans le jardin et dans le bois qui en était le prolongement. Le chevalier conduisait Mme Du Hautchet, qui lui faisait les questions les plus insinuantes sur sa vie, dont elle désirait ardemment connaître l’histoire, tandis que Mme de Narbal donnait le bras à M. de Loewenfeld, conseiller du grand-duc de Bade, homme capable, disait-on, et érudit distingué, qui avait étudié la littérature grecque à Heidelberg, sous la direction de Kreutzer. Les trois jeunes personnes, Fanny, Aglaé et Frédérique, prirent une allée écartée et disparurent, en courant, dans la partie la plus épaisse du bois. Il faisait une grande chaleur, mais les rayons ardens du soleil ne pénétraient qu’avec peine à travers le feuillage vigoureux de ces arbres séculaires. L’allée était pleine d’ombre et de scintillemens lumineux, des éclaircies naturelles conduisaient le regard vers des points moins abrités d’où s’échappaient des tramées d’une lumière éclatante qui communiquait à cette végétation touffue des nuances mystérieuses qu’on ne trouve pas dans les contrées méridionales. Presque au milieu de l’allée, il y avait un banc rustique, appuyé contre un gros chêne isolé, qui offrait un lieu de refuge d’autant plus agréable que l’ombre que projetaient ses branches moussues était plus dense que partout ailleurs. Après avoir fait plusieurs tours dans l’allée, les trois cousines vinrent s’asseoir sur le banc qui entourait le gros chêne.

— Que pensez-vous de la nouvelle connaissance de ma tante ? dit Aglaé, dont l’humeur joyeuse débordait toujours en menus propos enfantins. Je lui trouve une noble figure, continua-t-elle, et quoiqu’il soit déjà vieux, il ne me déplaît pas.

— On est vieux pour toi lorsqu’on n’a plus vingt ans, répondit Fanny d’une voix dolente. Sans être un jeune homme, le chevalier est dans la force de l’âge, et sa figure trahit moins le nombre des années que les soucis d’une existence qui paraît avoir été agitée. As-tu remarqué, continua Fanny en s’adressant particulièrement à Frédérique, qui jouait avec un lorgnon qu’elle tenait à la main, combien le chevalier paraissait ému en répondant à ma mère ? En