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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/468

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des Bougès, dut se déplacer encore et s’établir plus à l’est, à l’endroit où elle se trouve aujourd’hui. De même que la plupart des autres bourgades du littoral, le village poursuivi eût continué son voyage à travers le plateau des landes, si Brémontrer et ses successeurs n’avaient, par de nouveaux semis, définitivement arrêté la dune envahissante.

Sauf ces migrations périodiques, l’histoire des Bougès se réduit à peu de chose. Grâce à leur pauvreté et à leur éloignement de ces grands chemins des nations où passaient continuellement les armées en marche, les habitans riverains du bassin d’Arcachon eurent, pendant les guerres incessantes du moyen âge, moins souvent à subir les horreurs de la conquête que leurs voisins du Bordelais ; mais ils durent payer par un rude esclavage le douteux honneur d’avoir pour maîtres de puissans barons, fameux dans les fastes des batailles. Les seigneurs de La Teste, mieux connus sous le nom de captaux de Buch, exerçaient le droit de haute et de basse justice, c’est-à-dire que dans toute l’étendue de leur domaine ils pouvaient emprisonner ou mettre à mort leurs sujets sans en référer à un tribunal, ni à leur suzerain de France ou d’Angleterre. Ils possédaient en toute propriété les landes, les forêts, les cultures et les pêcheries du captalat ; tout berger, tout laboureur était serf et leur appartenait comme une tête de bétail ; des chartes octroyées en bonne forme par le roi d’Angleterre leur assuraient à jamais la possession des manans du pays. Le célèbre Jehan de Grailly, qui pendit tant de Jacques pour le compte de ses bons amis de France et de Navarre, faisait son métier de massacreur avec la bonne conscience que lui donnaient ses droits de maître absolu sur son peuple de La Teste. Soumis à un tel régime, qui d’ailleurs était celui de presque toute la France, les villages du captalat de Buch ne pouvaient guère prospérer. L’arbitraire et la servitude changeaient le pays en un désert. Vers 1500, on comptait seulement une quarantaine de maisons à La Teste, la capitale de toute la contrée. Plus tard, chaque atteinte portée au pouvoir féodal eut aussitôt pour résultat l’accroissement de la population, du commerce et de la richesse ; cependant, vers la fin du siècle dernier, M. de Villers évaluait à quatre mille seulement le nombre des habitans de toutes les communes riveraines du bassin[1]. Depuis lors, la révolution de 1789 a établi enfin le régime du droit commun, et préparé la situation actuelle ; mais il reste encore quelque chose à faire, puisque diverses coutumes léguées par les siècles du moyen âge ont empêché jusqu’à nos jours la constitution définitive de la propriété dans les forêts voisines.

  1. La population dépasse actuellement le chiffre de 16,000 âmes.