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pas être mis en état de défense militaire ? Au lieu des fortins ruinés dont les canons sont renversés dans le sable depuis 1815, ne faut-il pas construire maintenant sur les deux rives de formidables batteries cuirassées, munies de tous les engins de destruction que la science moderne a inventés ? Cette perspective de dépenses effraie à bon droit et fait retarder indéfiniment l’entreprise des travaux : on se demande si l’œuvre qu’il s’agit d’accomplir est bien en rapport avec la faible importance commerciale d’Arcachon et des autres communes riveraines du bassin.

Cependant quelque chose se fera certainement, et ce que le gouvernement n’entreprend pas aujourd’hui, des associations l’accompliront demain. La plage d’Arcachon et toute la rive du sud, qui représentent pour les propriétaires une valeur de plusieurs millions, ne tarderont pas à être protégées contre les érosions du flot par le remblai d’un chemin de fer, et les architectes pourront sans crainte bâtir chalets et villas au bord de la mer et sur les talus affermis des dunes. En fixant les ravages, on aura déjà rendu la direction des courans moins incertaine et facilité la navigation dans le chenal de l’entrée. Grâce au commerce, qui ne peut manquer de s’accroître en même temps que la population riveraine du bassin et la richesse des habitans, d’autres améliorations se réaliseront successivement : les dangers du passage seront balisés d’une manière plus complète, des pilotes iront au-devant des navires pour leur montrer la passe ; des remorqueurs les saisiront à l’entrée et les mèneront jusque dans la rade. La barre d’Arcachon cessera d’être un épouvantail ; les marins étrangers apprendront à la braver comme ils affrontent déjà depuis des siècles la barre bien plus redoutable de l’Adour, et tôt ou tard on verra les prés salés de La Teste transformés en docks et le grand mouillage de Piquey couvert de bâtimens. Certes la France serait coupable, comme nation, si elle ne trouvait pas le moyen d’utiliser cet admirable bassin, qui pourrait donner asile à des milliers de navires ; mais tous les progrès sont solidaires, et puisque l’immense désert des landes est graduellement conquis à l’agriculture, on peut espérer aussi que le commerce s’emparera bientôt de cette petite mer d’Arcachon, naguère si peu connue.


ELISEE RECLUS.