Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/541

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une calèche de poste venait de s’arrêter sous la fenêtre auprès de laquelle Edmond et Juliette se tenaient debout; des voix confuses s’élevèrent de toutes parts; un pas agile, un bruit d’éperons et de sabre traînant se firent entendre sur l’escalier; la porte de la galerie égyptienne fut brusquement poussée, et un jeune officier, tapageur et rieur, se précipita dans les bras d’Edmond... C’était son frère Félix.

Ils se revoyaient pour la première fois depuis le retour du jeune comte. Félix en effet n’avait pu quitter l’école militaire de M..., où le retenait l’approche des examens; mais fort heureusement pour lui, — car son application n’avait jamais été remarquable, — la marche rapide des événemens, l’impérieuse nécessité des circonstances venaient d’abréger ses études et de faciliter singulièrement son admission dans les rangs de l’armée prussienne. On était alors au mois de mars 1813, au lendemain de la défection du général Yorke. La Prusse tout entière se levait à l’appel de son roi. Universités et lycées peuplaient à l’envi les régimens; les écoles militaires naturellement marchaient en tête, et c’est ainsi qu’après un semblant d’épreuves le bouillant, l’étourdi Félix avait pu se faire admettre comme officier dans le fameux corps franc des hussards de Lutzow. — Mais ce n’est pas tout, ajouta-t-il, pressant la main de son frère; vous êtes, sans vous en douter, mon compagnon d’armes et mon collègue. J’ai là-bas, dans mon portemanteau, votre commission toute scellée... Allons, Edmond, la chasse commence, les limiers sont déchaînés de toutes parts, et ce vieux renard de Bonaparte sera bien habile s’il échappe à la meute lancée sur lui...


VI
FRAGMENS D'UNE LETTRE DE JULIETTE.


L... 14 juin 1814.

…… Ils sont revenus, chère Teresa. Tous deux ont échapper à la mort. Que de soucis ils nous ont causés! Combien de dangers courus et de fatigues subies ! Les voilà cependant tous deux et toujours les mêmes, Edmond plus grave et plus réservé que jamais, Félix plus impétueux et plus brouillon. Le premier partage sa vie entre ses études favorites et les soins du domaine, que notre père lui a délégués en partie, l’autre fume et chasse tout le jour; mais là-dessus, Teresa, n’allez pas vous le figurer sous les dehors d’un rustre égoïste. Un mot d’Edmond suffit pour arrêter au plus vif de ses folies cet affectueux étourdi. Edmond est pour lui comme un second père. Et que ne lui doit-il pas en effet ! Sans ce prudent et zélé protecteur, dans le cours de cette campagne qu’ils viennent de faire à deux, notre bouillant cadet eût péri vingt fois. Quel rare jeune