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Tels étaient les vœux de la France à l’heure dû déjà l’empereur aspirait à découper l’Italie en fiefs de son empire, et allait à Austerlitz forger le premier anneau de sa fatale destinée. Peut-être cette politique sensée lui revint-elle tardivement en mémoire lorsqu’il campait sur les sierras de l’Espagne, ou qu’il traversait en fugitif les eaux glacées de la Bérésina. Il dut en effet mettre plus d’une fois en regard des agitations d’un gouvernement libre le déchaînement de l’Europe et le désespoir de la France, et se dire dans l’amertume de son cœur qu’il ne succombait pas tant sous le poids de l’univers conjuré que, sous celui d’une responsabilité trop lourde pour un mortel.

Lorsque Napoléon eut perdu la couronne de Louis XIV en courant après celle de Charlemagne, la France, demeurée étrangère à ces rêves si ce n’est par le sang dont elle les avait payés, reprit le cours naturel de ses pensées, comme une terre qui refleurit après la chute d’une avalanche. Elle se remit à la poursuite des espérances libérales que le géant avait fait ployer dans sa course sans parvenir à les déraciner. Le programme oublié de 1804 servit, après dix ans, de texte à l’arrêt de déchéance rédigé par des hommes qui signaient en l’écrivant leur propre condamnation. Cependant la restauration s’élevait acclamée par la France malgré la présence d’un million d’étrangers, parce que son gouvernement représentait avec la paix, ce premier besoin du pays si obstinément méconnu, un retour certain vers la liberté, sans laquelle l’antique dynastie ne pouvait paraître au sein de la France nouvelle. La déclaration de Saint-Ouen et la charte de 1814 donnèrent satisfaction aux principes généraux proclamés en 89 en les encadrant dans un mécanisme plus heureux qu’aucun de ceux qui avaient été si tristement pratiqués. Aujourd’hui que l’Europe entière s’est assimilé ces institutions et que celles-ci fonctionnent à Madrid comme à Vienne, il est superflu de les défendre à l’occasion d’une prétendue origine britannique, car les œuvres de l’expérience et du bon sens ne sont le patrimoine d’aucun peuple. Elles allaient d’ailleurs mieux que toutes les constitutions précédentes au génie français par le champ qu’elles ouvraient à toutes les grandes ambitions de la pensée et du talent, et jamais la révolution ne reçut une sanction plus éclatante pour ses conquêtes et ses aspirations politiques. Toutefois aux sources mêmes du pouvoir une difficulté considérable se laissait déjà pressentir. La charte royale avait été octroyée par une puissance qui se prétendait constituante, et qui n’admettait pas que la nation pût intervenir entre elle et son œuvre. Cette prétention impliquait le droit de modifier le pacte fondamental, droit périlleux qu’on avait eu soin de dissimuler sous une rédaction ambiguë, tant on le savait