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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/595

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gouttes d’un sang acre et vicié par de funestes convoitises, et l’autre qu’elle tenait de sa mère, la pure et noble tradition d’une famille longtemps honorée. Qui donc expliquera d’une manière satisfaisante le grand mystère de la transmission presque inaltérable des germes ? qui nous dévoilera la cause des races qui se perpétuent dans l’humanité avec la même empreinte physique et les mêmes dispositions morales, légèrement modifiées par le temps, le croisement et l’air ambiant de la civilisation ? Les physiologistes en sont encore à balbutier cette science profonde de la transmission de la vie, où la permanence des types et des instincts se combine avec la mobilité incessante des molécules qui composent le tissu de nos organes. Ce qu’il y a de certain, c’est que Frédérique n’avait pas impunément reçu le jour d’un Rosendorff, maltôtier enrichi, dont la conscience, à peine dégrossie, n’avait que des notions confuses du juste et du bien. Elle n’avait pas connu son père ; mais son oncle de la ville d’Augsbourg, à qui elle ressemblait un peu, était un type trop fidèle de cette classe hybride de la société moderne qui s’est détachée du peuple et est arrivée à la propriété en soulevant la terre de ses ongles crochus, en luttant de ruse contre la prévoyance de la loi, en s’embusquant derrière un comptoir, en traquant le prochain à l’abri d’une patente délivrée par l’état. Au physique comme au moral, Frédérique portait la marque de sa double origine. Le sang des Schönenfeld se mêlait dans ses veines à celui des Rosendorff, les deux influences se combinaient dans son caractère, qui offrait un mélange singulier de nobles aspirations et de défaillances, d’héroïsme et de petites ruses, de hardiesse romanesque et de mesquines préoccupations. Sera-t-elle femme ou déesse, un ange de lumière ou la digne compagne de quelque rustre cousu d’or ? Étouffera-t-elle dans son âme l’instinct cupide des Rosendorff pour dégager l’élément divin de sa nature ? C’était le problème que présentait la destinée de cette jeune fille, qui semblait avoir conscience de la complexité de son être. Elle manquait d’initiative dans lg, volonté, comme son esprit était privé de spontanéité ; mais elle avait de la ténacité dans les sentimens et une sûreté naturelle de raison qui, après quelques oscillations, la ramenait facilement à la vérité.

Indépendamment de la musique, qu’elle aimait avec passion, et de l’heureuse disposition de cette jeune fille à s’élever au-dessus des distractions futiles de son âge et de son sexe, ce qui avait plus particulièrement attiré le chevalier vers Mme de Rosendorff, c’était une sorte de ressemblance éloignée avec Beata et comme un reflet de la noble fille de Venise. Blonde comme elle et comme elle aussi plus tendre que spirituelle, plus calme et plus sensée que turbulente