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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/61

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à peu près comme on distinguait en Angleterre, avant le bill de réforme, les représentans des bourgs pourris des représentans des comtés. On ne créera pas gratuitement de telles catégories, et l’on ne voudra pas sans doute faire soi-même la partie si belle à l’opposition en lui attribuant le monopole des idées qui constituent aujourd’hui sa seule puissance.

En succédant à la monarchie constitutionnelle, à laquelle la France reproche moins ses actes que sa chute, le second empire ne saurait accepter le programme qui tendrait à transformer son gouvernement en un théâtre à grand spectacle ou en une boîte à surprise maniée devant un public ébahi. Il n’ignore pas qu’au temps où nous sommes le gouvernement d’une nation intelligente ne saurait être que la conscience même du pays appliquée à la conduite de ses propres affaires. Sans cesser de s’appuyer sur les masses qui ont fait sa force, l’empire doit avoir l’ambition de se rattacher plus étroitement cette partie active de la nation qui est aux masses ce que le levain est à la pâte, pour employer une image vulgaire, mais saisissante. Cette portion du peuple français, préparée aux affaires publiques par la culture de l’esprit, a la volonté assurément fort légitime d’y intervenir activement désormais, encore qu’elle ne soit pas aristocratiquement constituée comme en Angleterre. M. le duc de Persigny, qui semblait en prendre assez bien son parti en 1860, doit connaître mieux que personne cette disposition-là depuis qu’il a tâté le pouls de si près à la France électorale. L’opinion publique, dont il a si heureusement provoqué le réveil, et dont personne, sous le principe qui nous régit, n’est admis à méconnaître l’autorité, saura lui rendre, s’il revient jamais au pouvoir, le souvenir oublié de ses premières circulaires ; elle saura reprendre, avec le droit de déposer un vote indépendant dans l’urne sans passer pour factieuse, celui de consigner ses pensées dans certaines feuilles sans exposer ces organes à d’autres sévérités qu’à celles de la loi. En matière de presse, la France demande peu, car la presse porte encore et la peine de ses torts et celle des nôtres ; mais les concessions que l’opinion réclame sont tellement conformes aux principes élémentaires du droit et à ceux de l’équité, qu’elles s’imposeront par la force même des choses à l’intérêt bien compris du pouvoir.

Cet intérêt judicieusement apprécié a déjà provoqué les concessions décisives du 24 novembre 1860. Placé à cette époque en présence des complications inattendues sorties des affaires d’Italie, le gouvernement impérial, afin de se fortifier devant l’Europe par la manifestation du sentiment public, appela tout à coup les chambres à partager la responsabilité de résolutions qui pouvaient toucher aux problèmes les plus périlleux de l’ordre moral et politique. L’année