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et le sourire enchanteur l’enivraient et le désespéraient tout à la fois. Soit instinct de coquetterie, soit bizarrerie et inégalité de caractère, ou bien l’hésitation naturelle d’une jeune fille qui ne sait encore ni ce qu’elle éprouve réellement, ni ce qu’elle veut et doit exprimer, il est certain que la contenance de Frédérique vis-à-vis du chevalier était de nature à entretenir dans son esprit une cruelle perplexité. Il contemplait silencieusement et furtivement la belle tête de Frédérique et le bouquet de fleurs qu’elle portait à son sein, lorsqu’un grand silence se fit tout à coup dans la salle, et l’ouverture du Freyschütz commença.

Ce chant mélancolique des quatre cors qui semble entr’ouvrir l’horizon infini de la forêt profonde où se passe la scène mystérieuse de cette fable populaire, ces sons étouffés d’abord et qui s’épanouissent peu à peu comme un écho des bois solitaires qui s’approche et retentit dans l’âme déjà émue de l’auditeur, la réponse des violoncelles sous le frémissement des premiers et des seconds violons, ce dialogue douloureux qui s’établit entre les instrumens à vent et les instrumens à cordes et qui achève cette admirable introduction de trente-quatre mesures produisit un grand effet dans une salle à peine éclairée et sur un public recueilli dont l’imagination était en parfaite harmonie avec celle du compositeur. Le mouvement rapide en ut mineur qui suit l’introduction, ces accords lugubres et pleins d’anxiété qu’emporte un rhythme fiévreux à travers les éclats de l’orchestre déchaîné, ce chant de la clarinette qui se fait entendre tout à coup au-dessus des trépignemens des violons et des basses comme la voix de Max éploré au-dessus du gouffre de la Gorge-du-Loup, enfin la magnifique péroraison qui reproduit l’hymne d’amour de la belle et tendre Agathe, excitèrent de véritables transports d’enthousiasme. Les étudians se levèrent en masse, criant : « Hurra ! gloire à Carl-Marie de Weber ! »

— Voilà, dit le chevalier avec une vive émotion, la plus belle ouverture qui existe dans la musique dramatique depuis celle du Don Juan de Mozart, dont elle diffère si profondément !

— Et les quatre ouvertures que Beethoven a composées pour son opéra de Fidelio, et celles de Spohr, de Méhul et de Chérubini, répondit M. Thibaut, vous les oubliez donc ?

— Non, je ne les oublie pas ; mais aucune comparaison ne peut être établie entre elles et l’admirable page de symphonie que nous venons d’entendre, et qui résume si bien les différens traits du drame religieux, fantastique et populaire qui va se dérouler devant nous. Les étudians ont raison : gloire à Carl-Marie de Weber ! et j’ajoute : gloire au musicien de l’idéal romantique allemand, c’est-à-dire au peintre du sentiment et de la nature, que son œuvre