Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les nuages et à lire dans le temps, Max mêle constamment à l’expression des angoisses de son cœur la description des phénomènes de la nature, qu’il interpelle presque comme un être vivant qui l’écoute et participe à ses chagrins. Se sentant opprimé par une puissance mystérieuse que représente Samiel, le chasseur noir, dont on aperçoit au fond du théâtre la figure sinistre, Max fait un retour sur l’époque heureuse de sa jeunesse, alors qu’il errait libre au milieu des forêts, pouvant atteindre de ses coups tout ce qui volait au-dessus de sa tête, et revenant le soir près de son Agathe chargé de butin. Ce sentiment de regret est rendu par une phrase mélodique large et colorée, à laquelle succède un récit plein de sinistres pressentimens qui amène, comme un rayon de soleil traversant de gros nuages, le joli cantabile en sol majeur où Max, dans une vision de sentiment, voit la tendre Agathe assise à sa fenêtre, épiant le bruit de ses pas à travers les ombres de la nuit :

Jetzt ist wohl ihr Fenster offen,
Und sie horcht auf meinen Schritt.


L’air se termine par ce mouvement fiévreux en ut mineur qui forme le thème de l’ouverture, et dans lequel le musicien peint à larges traits le désespoir du faible jeune homme, qui, ne se fiant plus à la Providence, s’abandonne au destin, c’est-à-dire à Satan, qui en est la personnification populaire. La ronde que chante ensuite Gaspard, l’esprit fort, pour séduire le pauvre Max et l’entraîner dans son cercle d’incantations diaboliques, est d’une fière tournure rhythmique et d’une couleur vraiment rembranesque. Il invoque la matière comme un alchimiste qui espère y trouver la solution du grand arcane, il célèbre les plaisirs de la chair et le vin généreux, qui est la seule consolation qu’ait le pauvre peuple en ce bas monde, et lorsque Max, séduit par les promesses de son tentateur, accepte le rendez-vous fatal à la Gorge-du-Loup (Wolfsschlucht), Gaspard entonne son triomphe dans un air magnifique dont l’instrumentation projette partout de sinistres lueurs.

— C’est la joie de l’enfer, dit le chevalier quand le rideau fut tombé, c’est le Satan de Milton transporté sur la scène lyrique. Ni Gluck, ni Mozart, ni même Haendel dans ses oratorios, n’offrent rien de semblable à l’air que vient de chanter Gaspard, et qui n’a pu être écrit que par un musicien allemand de l’école moderne.

— Si vous connaissiez, monsieur le chevalier, répliqua le vieux Rauch, les cantates religieuses et les grandes compositions vocales de Sébastien Bach que j’ai eu l’occasion d’entendre exécuter dans ma jeunesse à Leipzig, vous seriez peut-être moins étonné du style