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affecté. Il allait donc voir un jeune homme introduit dans cette maison hospitalière, où son cœur était plus engagé qu’il n’osait se l’avouer.

Le lever du rideau fit diversion aux douloureux pressentimens du chevalier. Le théâtre représentait la chambre d’Agathe, ornée de fleurs et de pieux symboles. La cavatine que chante la jeune fille revêtue de ses habits de noces, agenouillée devant une image de la Vierge couronnée de roses blanches, est encore une de ces mélodies suaves et colorées où l’expression tendre et profonde du sentiment ne se fait jour qu’à travers la peinture du paysage, à travers les phénomènes de la nature extérieure, qu’Agathe invoque et interroge avec une pieuse curiosité :

Und ob die Wolke sie verhülle,
Die Sonne bleibt am Himmelszelt ! etc.

À cette courte, mais touchante prière, succède la romance qu’Annette chante pour distraire son amie de ces rêves de malheur dont elle est toujours obsédée. C’est une sorte de ballade d’un style tout différent et divisée en deux parties. L’andante en sol mineur, qui est accompagné par un alto solo qui en dessine les contours, effet qui a été souvent imité depuis, a quelque chose de la couleur d’un récit légendaire, tandis que l’allegro en mi bémol majeur est d’une gaîté charmante, plein de grâce et de modulations piquantes que fait jaillir un rhythme original très familier à l’auteur du Freyschütz et d’Oberon. Après ce morceau, qui exprime si heureusement l’humeur joyeuse d’Annette, dont le caractère facile se maintient toujours différent de celui d’Agathe, vient la ronde avec le chœur des jeunes villageoises qui apportent à la fiancée des fleurs et des souhaits de félicité. C’est frais et touchant comme une idylle, élégant comme une page d’Hermann et Dorothée. Lorsque le fameux chœur des chasseurs eut été chanté avec un ensemble admirable qui excita de nouveau dans toute la salle des transports d’enthousiasme : — Voilà encore une de ces trouvailles de génie, dit le chevalier avec émotion, qui n’appartiennent qu’à Weber. Il est impossible d’obtenir un plus grand effet par des moyens aussi simples. Quel vaste horizon s’entr’ouvre devant l’auditeur charmé au bruit harmonieux de ces cinq voix qui ne sortent pas d’un très petit nombre d’accords les plus usités ! N’est-ce pas la forêt sombre et qui retentit d’échos infinis, la chasse et sa poésie enivrante, l’homme heureux de sa liberté et fier de sa puissance sur la nature qui l’enveloppe de toutes parts ? Jamais un musicien, jamais un poète de race latine ne pourrait peindre de tels effets, ni exprimer de pareils sentimens.