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que, dans les principes des gouvernemens même parlementaires, les ministres ont toujours eu l’omnipotence complète de destituer les fonctionnaires qui ne votaient pas avec eux. N’oubliez pas que M. Pitt, pour formuler ce système dans la libre Angleterre, s’est borné un jour à répondre à l’opinion qui lui reprochait ces destitutions : « J’ai destitué ce fonctionnaire, parce que sa figure me déplaisait. » Il y eut des rires, et un interrupteur répliqua : « Mais un député n’est pas un fonctionnaire. » Le parti conservateur se sent-il à l’aise en entendant la manifestation, même aventurée, d’une telle théorie, et faut-il dès lors s’étonner si, au lieu d’employer lui-même les forces puissantes dont il dispose dans le pays, il laisse le gouvernement seul en faire usage, au grand, détriment de ces habitudes d’indépendance et de libre discussion dont le parti conservateur ne peut lui-même impunément se passer ?

Ainsi ni dans le parti libéral, ni dans le parti conservateur, quelles que puissent être les dispositions de ceux qui se tiennent à l’écart du serment, le gouvernement ne rencontre pas d’ennemis; mais, comme s’il ne pouvait s’en passer, les dernières élections ont fait reconnaître que c’est à la fois dans le parti libéral et dans le parti conservateur qu’il a été les chercher et les signaler. Est-ce donc que la main de l’empereur serait paralysée, comme il était écrit maladroitement dans une circulaire préfectorale, parce que, plus forte et plus ouverte, elle laisserait les partis constitutionnels prendre leurs libres allures dans les limites tracées par les lois, et qu’il ne leur permettrait pas de franchir? C’est à cette condition que les gouvernemens, d’après une illustre parole, « peuvent être à la fois soutenus et contenus, » au lieu de se soutenir et de se contenir eux-mêmes, tâche qui est trop difficile et à laquelle ils ne peuvent suffire. Le discours du trône faisait appel, il y a un mois, à un congrès de souverains qui seraient chargés de délibérer sur les affaires de l’Europe. Il y a un autre congrès qui peut être plus facilement rassemblé, pour délibérer sur les affaires intérieures du pays : c’est le congrès des électeurs. Le parti libéral et le parti conservateur sont aussi des puissances; le souverain peut à son gré les convoquer et les inviter à. prendre droit de séance. Il est sûr de pouvoir les réunir, et ce n’est pas pour lui une ambition à dédaigner que celle d’être leur arbitre.


ANTONIN LEFEVRE-PONTALIS.