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Ces paroles étaient amères, et leur amitié aurait sans doute beaucoup souffert de ces discussions, si les graves événemens qui survinrent alors ne les avaient de nouveau rapprochés. Cicéron était à peine de retour en Italie que la guerre civile, prévue depuis longtemps, éclata. Les dissentimens particuliers devaient s’effacer devant ce grand conflit. D’ailleurs Cicéron et Brutus se trouvaient réunis alors par une communauté de sentimens singulière. Tous deux s’étaient rendus au camp de Pompée, mais tous deux l’avaient fait sans entraînement ni passion, comme un sacrifice qu’exigeait le devoir. Brutus aimait César, qui lui témoignait dans toutes les occasions une affection paternelle, et de plus il détestait Pompée. Outre que cette vanité solennelle n’était pas faite pour lui plaire, il ne lui pardonnait pas la mort de son père, tué pendant les guerres civiles de Sylla. Dans ce danger public cependant, il oublia ses préférences et ses haines, et se rendit en Thessalie, où se trouvaient déjà les consuls et le sénat. Dans le camp de Pompée, nous savons qu’il se fit remarquer par son zèle, pourtant il s’y passait bien des choses qui devaient le blesser, et sans doute il trouvait que trop de rancunes, trop d’ambitions personnelles s’y mêlaient à la cause de la liberté, qu’il voulait seule défendre. C’est ce qui déplaisait aussi à son ami Cicéron et à Cassius son beau-frère, et tous deux, indignés du langage de tous ces furieux qui entouraient Pompée, résolurent de ne pas poursuivre la guerre à outrance, ainsi que les autres le voulaient. « Je me souviens encore, écrivait plus tard Cicéron à Cassius, de ces entretiens familiers dans lesquels, après de longues délibérations, nous prîmes le parti d’attacher au succès d’une seule bataille, sinon la justice de la cause, au moins notre décision. » On ne sait si Brutus assistait à ces entretiens de ses deux amis; ce qui est certain, c’est qu’ils se conduisirent tous les trois de la même façon. Cicéron, le lendemain de Pharsale, refusa le commandement des restes de l’armée républicaine; Cassius s’empressa de livrer à César la flotte qu’il commandait; quant à Brutus, il fit son devoir en homme de cœur pendant le combat, mais, la bataille finie, il jugea qu’il avait assez fait et vint s’offrir au vainqueur, qui l’accueillit avec joie, le prit à part, le fit parler, et parvint à en tirer quelques lumières sur la retraite de Pompée. Après cet entretien, Brutus était tout gagné; non-seulement il n’alla pas rejoindre les républicains qui combattaient en Afrique, mais il suivit César dans la conquête de l’Egypte et de l’Asie.


II

Brutus avait trente-sept ans à la bataille de Pharsale. C’était, pour les Romains, l’âge de l’activité politique. D’ordinaire on venait