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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/847

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l’architecte Raballiati, les sculpteurs Carabelli, Crepello, Vacca, etc. Ces statues, ces monumens reproduisent des chefs-d’œuvre de l’antiquité et de la renaissance. Enfin Schwetzingen est la résidence d’un petit souverain de l’Allemagne qui faisait jouer sur son théâtre et devant sa cour la comédie française et l’opéra italien.

— Dieu merci ! nous n’en sommes plus là, répondit M. de Loewenfeld, impatienté d’entendre le docteur exposer si complaisamment des vérités historiques qui blessaient son patriotisme ombrageux. L’Allemagne possède aujourd’hui une littérature, un théâtre, des arts et une musique nationale qui expriment les propriétés de son génie profond, vaste et original. Rappelez-vous, monsieur le docteur, que Schiller a fait représenter sur le théâtre de Manheim plusieurs de ses chefs-d’œuvre par l’une des meilleures troupes de comédiens qui ait existé. Sous la direction du baron de Dalberg et de l’acteur Iffland, le théâtre de Manheim a été pendant vingt ans le premier de l’Allemagne. Lessing, Klopstock, Wieland et Mozart ont été accueillis à la cour de Charles-Théodore avec une grande courtoisie. Plus de quinze cents personnes suivaient le prince dans cette résidence et vivaient de ses libéralités. La ville n’était remplie que de musiciens, de virtuoses et d’artistes de tout genre, car, indépendamment de l’opéra qu’on représentait trois fois par semaine dans cette jolie salle, l’électeur faisait faire de la musique tous les jours dans ses appartemens. Pendant six mois de l’année, Schwetzingen était un paradis, un vrai jardin d’Armide, comme l’a dit notre grand Klopstock. Eh bien ! tout cela a été emporté par l’invasion des principes et des hordes révolutionnaires de la France, dont M. le docteur ne craint pas de nous vanter la civilisation !

La vivacité de M. de Loewenfeld fît un peu sourire l’aimable M. Thibaut, qui, d’esprit modéré et de caractère débonnaire, était loin de partager les idées exclusives d’un grand nombre de ses compatriotes. Se tournant du côté de Mme de Narbal, qui montrait au chevalier Sarti la loge qu’occupait son grand-père, le ministre de Charles-Théodore, avec la belle Vénitienne qu’il avait enlevée et puis épousée contre la volonté de sa propre famille : — Comtesse, lui dit M. Thibaut avec un calme sourire, on médit de la révolution française, qui avait du bon, puisque nous lui devons d’avoir vu s’établir dans ce pays mon ami de Narbal, un esprit si ferme et un cœur si généreux ! Il ne s’en plaignait pas trop, lui, de cette grande révolution qui l’avait jeté hors de sa patrie et dépouillé de son patrimoine, parce qu’il y reconnaissait la main de Dieu et une œuvre de sa justice. Du reste, cette terrible révolution qu’on accuse de tant de maux dont je la crois parfaitement innocente, n’a pas empêché Goethe, Schiller, Beethoven, Weber, Cornélius, d’enfanter les