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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/87

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historiens. Tout ce qu’on peut faire, si l’on tient à les connaître, c’est d’essayer d’en retrouver comme un souvenir lointain dans les lettres que Brutus écrivit plus tard, et que nous avons conservées. On y voit par exemple qu’il revient à deux reprises sur la même pensée : « Nos ancêtres croyaient que nous ne devons pas souffrir un tyran, fût-il notre père… Avoir plus d’autorité que les lois et le sénat, c’est un droit que je n’accorderais pas à mon père lui-même. » N’est-ce pas la réponse qu’il se faisait toutes les fois qu’il se sentait troublé par le souvenir de l’affection paternelle de César, lorsqu’il songeait que cet homme contre lequel il allait s’armer l’appelait son enfant ? Quand aux faveurs qu’il en avait reçues ou qu’il pouvait en attendre, elles auraient pu en désarmer un autre, mais lui s’affermissait et se raidissait contre elles. « Il n’y a pas disait-il, d’esclavage assez avantageux pour me faire quitter le dessein d’être libre. » C’est par là qu’il se défendait contre les amis du dictateur, peut-être contre sa mère, quand elle lui montrait, pour l’éblouir, que, s’il voulait souffrir la royauté de César, il pouvait espérer de la partager. Ce n’est pas lui aurait jamais consenti à payer de sa liberté le droit de dominer sur les autres, le marché lui aurait paru désavantageux. « Il vaut mieux, a-t-il écrit quelque part, ne commander à personne que d’être l’esclave de quelqu’un. On peut vivre sans commander, et il n’y a pas de raison de vivre quand on est esclave. »

Au milieu de toutes ces anxiétés qu’on ne pouvait pas connaître, il se passa un fait qui surprit beaucoup le public, et que les lettres de Cicéron racontent sans l’expliquer. Quand on apprit que César, vainqueur des fils de Pompée, revenait à Rome, Brutus mit à se porter à sa rencontre un empressement que tout le monde remarqua et que beaucoup de gens blamèrent. Quel était donc son dessein ? Quelques mots de Cicéron, auxquels on n’a pas fait assez d’attention, permettent de le deviner. Au moment de prendre une résolution suprême, Brutus voulait tenter sur l’esprit de César un dernier effort et essayer une dernière fois de le rapprocher de la république. Il affecta de louer devant lui les gens du parti vaincu, surtout Cicéron, dans l’espérance qu’ils pourraient être rappelés aux affaires. César écouta ces éloges avec bienveillance, accueillit bien Brutus, et ne le découragea pas trop. Celui-ci, trop facilement confiant, s’empressa de retourner à Rome et d’annoncer à tout le monde que César revenait aux honnêtes gens. Il alla jusqu’à conseiller à Cicéron d’adresser au dictateur une lettre politique qui contînt de bons conseils et quelques avances ; mais Cicéron ne partageait pas les espérances de son ami, et après quelques hésitations il refusa d’écrire. Du reste, les illusions de Brutus ne furent pas longues. Antoine l’avait devancé auprès de César, Antoine, qui par ses folies