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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/91

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qu’il avait conçu. Il suffira d’un récit rapide des faits pour montrer que ce fut là ce qui causa sa perte avec celle de son parti, et rendit inutile le sang versé.

Après la mort de César, les conjurés sortirent du sénat en agitant leurs épées et en appelant le peuple. Le peuple les écouta avec surprise, sans trop de colère, mais sans aucune sympathie. Se voyant seuls, ils montèrent au Capitole, où l’on pouvait se défendre, et s’y enfermèrent sous la garde de quelques gladiateurs. Ils n’y furent rejoints que par ces amis douteux que trouvent toujours les partis, quand ils paraissent réussir. Si l’on avait eu peu d’empressement à les suivre, on avait encore moins d’envie de les attaquer. Les partisans de César étaient épouvantés. Antoine avait jeté ses vêtemens de consul et s’était caché. Dolabella affectait de sembler joyeux et laissait entendre qu’il était aussi des conjurés. Beaucoup quittaient Rome à la hâte et fuyaient dans les campagnes. Pourtant, lorsqu’on vit que tout restait dans l’ordre et que les conjurés se contentaient de faire des harangues au Capitole, le cœur revint aux plus effrayés. L’épouvante qu’avait causée cette action hardie fit place à la surprise d’une si étrange inaction. Le lendemain, Antoine avait repris ses vêtemens consulaires, rassemblé ses amis, retrouvé son audace, et il fallait compter avec lui.

«Ils ont agi, disait Cicéron, avec un courage d’hommes et une prudence d’enfans; animo virili, consilio puerili. » Il est certain qu’ils semblaient n’avoir rien préparé, rien prévu. Le soir des ides de mars, ils attendaient les événemens sans avoir rien fait pour les diriger. Était-ce, comme on l’a dit, imprévoyance et légèreté? Non, c’était système et parti-pris. Brutus ne s’était associé avec les autres que pour délivrer la république de l’homme qui entravait le jeu régulier des institutions. Lui mort, le peuple reprenait ses droits et redevenait libre d’en user. On aurait paru travailler pour soi en gardant, même un jour, cette autorité qu’on arrachait à César. Or préparer d’avance des décrets ou des lois, s’entendre pour régler l’avenir, aviser aux moyens de donner aux affaires la direction qu’on voulait, n’était-ce pas en quelque sorte prendre pour soi le rôle de la république entière? Et qu’avait fait de plus César? Ainsi, sous peine de paraître l’imiter et n’avoir agi que par une rivalité d’ambition, les conjurés devaient abdiquer une fois le grand coup frappé. Voilà comment je pense qu’il faut s’expliquer leur conduite. C’est par une étrange préoccupation de désintéressement et de légalité qu’ils restèrent volontairement désarmés. Ils mirent une sorte de gloire à ne s’entendre que pour tuer César. Cet acte accompli, ils devaient rendre au peuple la direction de ses affaires et le choix de son gouvernement, le laissant libre de témoigner sa reconnaissance