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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/950

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et de la fraude. Il est condamné désormais à nourrir en lui un secret mortel, germe désastreusement fécond et graduellement corrupteur, d’où sortira dans les ténèbres de cette nature close toute une moisson de fautes, de velléités criminelles, de trahisons enfin, qui le pousseront malgré lui vers l’abîme. Nous n’avons pas affaire, il faut le remarquer, — et c’est par là que cette création se recommande, — à une âme instinctivement perverse. Tito ne veut de mal à qui que ce soit, bien au contraire : le spectacle de la souffrance chez autrui l’affecte péniblement et trouble chez lui la quiétude voluptueuse, l’équilibre indolent qui sont nécessaires à son bonheur. Il est indulgent aux autres comme il est indulgent à lui-même. Dans une certaine limite, — assez étroite il est vrai, — le sacrifice ne lui est pas impossible. Il laissera tomber aisément une pièce d’or, en détournant les yeux, dans la main de quelque spectre affamé. Il portera une courtoisie bienveillante dans ses relations avec ses égaux. Dépourvu de toute morgue, s’il vient à rencontrer de nouveau cette gentille contadine qui lui témoigna jadis, sur la place du Marché, une admiration si naïve, un si affectueux abandon, et qui lui donna de si bonne grâce un premier déjeuner à Florence, il se familiarisera volontiers avec elle, acceptera comme un hommage flatteur l’inconsciente adoration de cette beauté rustique, et, sans se croire infidèle à Romola, laissera se former entre Tessa et lui, au gré des circonstances favorables, un lien de plus en plus étroit, de plus en plus difficile à rompre. Ce n’est en somme qu’un insouciant épicurien, rapportant tout à lui et toujours prêt à céder aux entraînemens de l’heure présente ! Quand il chante, en s’accompagnant sur un luth, le brindisi composé par Laurent de Médicis :

Quant’ è bella giovinezza
Che li fugge tuttavia !…


il traduit assez fidèlement la règle de sa morale pratique et les conseils les mieux écoutés parmi ceux que sa conscience lui donne de temps à autre. Malheureusement cette légèreté coupable le mènera plus loin qu’il ne pense, et par cela seul qu’il prétend se dérober à tout sacrifice, à tout devoir rigoureux, à toute pénible entrave, il se verra bientôt, sans aucune préméditation criminelle, acculé à une de ces situations d’où l’on ne sort guère que par un crime.

Sur sa route semée de fleurs, Némésis projette d’abord une ombre vengeresse. Au moment où, certain de plaire à Romola, Tito, déjà professeur en titre, se voit sur le point d’obtenir la main de la jeune patricienne, au moment où, dupe d’une plaisanterie de carnaval, Tessa, qui se croit mariée au jeune Grec, s’abandonne naïvement à la passion qu’il lui inspire, un jeune dominicain de Saint-Marc,