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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/959

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plus fort dès qu’il s’aperçut que la première impulsion de son courroux s’était affaiblie.

« — Non, ma Romola. Veuillez comprendre tout ce que ces idées ont d’impraticable… Vous n’iriez pas de sang-froid demander à votre parrain d’ajouter encore trois mille florins aux avances qu’il a déjà faites sur la bibliothèque. Votre orgueil, votre délicatesse, vous feraient, je pense, reculer devant une pareille démarche… En supposant même que ce projet fût moins insensé, mon vouloir ne serait pas que messer Bernardo fît les avances dont vous parlez. Je vous prie en outre de réfléchir aux résultats d’une conduite qui vous mettrait en opposition directe avec moi, et placerait votre mari sous le fâcheux et trompeur reflet de vos déplorables soupçons, dénués de tout fondement. Que gagneriez-vous à me noircir dans l’esprit de messer Bernardo ? Les faits accomplis sont irrévocables, la collection est vendue, et vous êtes ma femme.

« Chaque mot avait ici sa portée, calculée avec une habileté profonde, car le sentiment du danger avait mis en éveil toutes les facultés de cet esprit subtil. Il comptait sur l’intelligence de Romola pour saisir à première vue la signification péremptoire de ce discours, auquel il n’ajouta rien, se bornant à ne pas la quitter du regard.

« .Quand Romola reprit la parole, sa voix était égale, assurée ; il n’y perçait plus aucune émotion. — J’ai une requête à vous adresser, dit-elle.

« — Demandez, Romola, tout ce qui pourra s’accomplir sans préjudice pour vous ou pour moi.

« — Vous voudrez bien alors me remettre la portion du prix qui revient à mon parrain et me charger du remboursement qui lui est dû.

« — Je souhaiterais d’abord avoir de vous quelques assurances au sujet de l’attitude que vous comptez garder envers moi.

« — Vous croyez donc aux assurances qu’on peut vous donner ? dit-elle avec un léger retour d’amertume.

« — De votre part, j’y compte parfaitement.

« — Eh bien donc ! je ne vous nuirai jamais en quoi que ce soit. Je ne révélerai aucun secret, je ne dirai rien qui puisse vous chagriner… J’estime, comme vous, qu’il y a là un passé irrévocable.

« — En ce cas, je ferai dès demain matin ce que vous désirez.

« — Dès ce soir, si cela se peut, reprit Romola, pour que nous n’ayons plus à revenir sur tout ceci.

« — Rien de plus aisé, dit-il, se dirigeant vers la lampe, tandis qu’elle persistait à demeurer assise, détournant de lui ses regards distraits. Il revint presque aussitôt et se pencha vers elle pour lui glisser un papier dans la main.

« — Vous savez sans doute, ma Romola, lui dit-il, que vous aurez en échange de ceci quelque chose à réclamer ?

« Maintenant qu’il se sentait moins menacé, l’incident venait de perdre à ses yeux presque toute son importance, et il revenait volontiers aux habitudes conciliatrices de sa souple nature.

« — Ah ! oui ! je comprends, dit-elle en prenant le papier sans lever les yeux sur Tito.