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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/961

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sa vie domestique, entre résolument dans la carrière du sacrifice et des œuvres saintes. Les conseils de Savonarole, l’autorité de cette voix qui remuait les masses populaires l’ont ramenée, nous venons de le dire, auprès de Tito Melema. Un reste d’amour survit en elle à l’estime perdue, à la confiance trompée. Sa sollicitude, mêlée de quelque tendresse, plane comme un ange protecteur sur cette vie obscure et coupable dont elle voudrait sonder les ténèbres et purifier les tendances. Elle en pénètre quelquefois les secrets et déjoue avec fermeté les trahisons savamment organisées par son mari. Il arrive même un jour où, surprenant une trame des médicéens contre le prieur de Saint-Marc, devenu peu à peu l’arbitre des destinées de Florence, elle veut tout dévoiler, tout sacrifier au salut du grand homme, son guide spirituel, en qui elle croit reconnaître le véritable successeur des apôtres et le fondateur d’un nouveau régime républicain conforme aux préceptes austères du christianisme et aux notions philosophiques puisées par Romola dans le commerce de l’antiquité ; mais ce jour-là Tito l’arrête court par une manœuvre habile, en lui montrant parmi les hommes qu’elle va perdre les principaux membres du patriciat, auquel son origine la rattache, et jusqu’à ce vieillard dont les soins affectueux lui ont donné un second père. Bernardo del Nero, devenu gonfalonier de Florence, est plus ou moins compromis dans le parti des Médicis, et pour imposer silence à sa filleule il suffit qu’elle puisse le croire en danger. Tito, désormais protégé par les scrupules de conscience qu’il a éveillés si à propos, se replonge de plus belle dans cette complication d’artifices et d’intrigues où se délecte son esprit subtil, et qui offre à son ambition développée par le succès les perspectives les plus attrayantes.

Pendant qu’il s’abandonne aux vertiges de l’espérance, à la fièvre des complots, Baldassare Calvo ne le perd pas de vue. Il a surpris le secret de ce prétendu messer Naldo à qui Tessa se croit mariée. En échange des soins que Romola lui prodigue, quand elle le trouve atteint de la peste dans un des hôpitaux où la charité la conduit chaque jour, il lui livre ce secret, et pour la mieux convaincre, pour lever tous les doutes qu’elle conserve encore, il a promis de la mener chez sa rivale, lorsque tout à coup il disparaît sans qu’on puisse savoir ce qu’il est devenu. C’est le hasard, le hasard seul, qui complète les révélations de Baldassare et met en face l’une de l’autre les deux femmes trompées par l’astucieux Tito. À la vue des beaux enfans de Tessa, et lorsqu’elle a reçu les confidences naïves de la pauvre contadine encore abusée, Romola ne se sent pas le courage de la détromper. L’humiliation qu’elle éprouve n’est mêlée d’aucun ressentiment, et son altière équité ne saurait s’abaisser à