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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/993

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demeurera fameux dans les fastes du patriotisme financier, le sacrifice de la soulte ; mais en même temps une mauvaise fée, sous la forme tantôt d’un général espagnol que les eaux de Vichy rendent trop rêveur, tantôt d’une coterie séduisante et remuante d’émigrés mexicains, tantôt d’infortunés postulans d’indemnités, nous faisait prendre, en une heure crépusculaire, avec les moins sûrs des alliés, le chemin de la Vera-Cruz. Dès lors commença cette série de mésaventures dont la moins grosse n’est pas la perturbation jetée dans notre réforme financière, une dépense déjà faite de 210 millions et un emprunt nécessaire de 300. Le projet d’adresse lu par M. Troplong montre qu’au sénat comme partout on voudrait qu’il fût mis un terme à cet incident ; ce projet reproduit l’excuse que l’on donne depuis deux ans à cette dispendieuse entreprise : cette excuse est l’imprévu. L’imprévu a bon dos ; mais l’imprévu est un participe passif irresponsable devant lequel il y a toujours un participe actif responsable. L’imprévu suppose et accuse l’imprévoyance de ceux qui étaient tenus de prévoir. Dans un devis financier, la part faite à l’imprévu ne doit compter que pour une bagatelle. En face d’un imprévu qui se chiffre à la fin par 210 millions, ce n’est plus d’imprévu qu’on peut parler, c’est aux imprévoyans qu’il faut s’en prendre.

On passe ainsi de l’examen des causes particulières qui rendent nécessaire un emprunt de 300 millions à la considération des causes générales qui peuvent détourner de la bonne voie notre administration financière. Ces causes, que nous avons plusieurs fois indiquées, sont aujourd’hui mises à nu par les faits mêmes. Il ne doit pas y avoir d’imprévus colossaux dans les finances. Pour qu’il en soit ainsi, ce n’est pas une théorie abstraite, ce sont les conditions pratiques des gouvernemens modernes qui demandent que l’axe de la politique d’un état repose sur ses finances, et que, les finances étant contrôlées, l’administration financière soit responsable devant l’assemblée représentative investie du contrôle. En dehors des cas extraordinaires, toutes les branches du gouvernement doivent être subordonnées aux prévisions et aux ressources de l’administration financière. Les finances ne sont pas, comme les autres ministères, des branches du gouvernement ; elles sont le tronc duquel les autres branches doivent recevoir la sève. La politique étrangère, la guerre, la marine, les travaux publics devraient être obligés, avant de rien entreprendre, de demander aux finances jusqu’où ils peuvent s’engager. Les conditions naturelles du gouvernement, représentatif veulent que la plus haute responsabilité et par conséquent la plus haute autorité gouvernementales soient rattachées au moins par un lien général à la direction des finances publiques. La grande cause de nos méprises financières vient de ce que les choses ne se passent point encore ainsi en France. Les finances au lieu d’être le tronc commun, sont traitées simplement comme une des branches du gouvernement. Le ministre des finances chez nous n’est pas le lien de la solidarité et de la