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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/1001

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incontestée, et ce fut elle dont la prospérité dura le plus longtemps. Il fallut pour la ruiner la conquête arabe. Ses débris, parmi lesquels nous retrouvâmes une inscription archaïque des plus curieuses, occupent une très grande étendue de terrain ; le plus considérable, celui qui appelle tout d’abord le regard, c’est la basilique autrefois consacrée à saint Titus, le compagnon de saint Paul et le patron de la Crète. Il ne reste que le chevet de l’église ; elle est d’une construction soignée et de style purement romain. Elle n’a pas dû être bâtie plus tard qu’au IVe ou au Ve siècle de notre ère, car on n’y sent nulle part l’influence de cet art byzantin dont Sainte-Sophie nous offre le plus parfait modèle. Tout abandonnée et démantelée que soit l’antique cathédrale, les populations chrétiennes des environs accourent encore ici une fois par an, le jour de la fête du saint ; on dit la messe sur un autel improvisé, et il se tient là, au pied de ces hautes murailles dorées par le soleil de tant de siècles d’esclavage et d’abaissement, une panégyrie ou fête religieuse qui attire, me disait-on, plus de dix mille personnes. C’est, en même temps qu’un pieux souvenir du passé, comme une protestation contre le présent et comme un témoignage d’indestructible espérance, un appel à un meilleur avenir.

Ce qui mérite le plus de retenir et d’occuper le voyageur dans les environs de Gortyne, ce sont les vastes excavations qui s’ouvrent au flanc d’une montagne voisine, tout près d’un village turc nommé Roufo, qui est situé lui-même à une heure environ d’Haghious-Deka, au nord-ouest des ruines. L’imagination des Grecs du pays a, de bonne heure sans doute, rattaché à ces excavations le nom et les traditions du fameux labyrinthe que dans l’antiquité on plaçait tantôt auprès de Gortyne, tantôt dans les environs de Cnosse ; c’était même cette dernière ville qui le faisait figurer sur ses monnaies. Il est inutile de dire qu’il ne faut attribuer aucune espèce de valeur à cette désignation, que les premiers voyageurs modernes ont cependant prise au sérieux. Le prétendu labyrinthe n’est autre chose qu’une vaste carrière d’où ont été tirées toutes les pierres qui ont servi à la construction des édifices et des maisons de Gortyne[1]. L’entrée est presque complètement obstruée ; pour pénétrer dans l’intérieur, il faut parcourir 30 ou 40 mètres en rampant sur le ventre ; le sol s’abaisse ensuite un peu, mais pourtant, dans

  1. Tandis que Tournefort et Savary, qui visitèrent l’île, l’un au commencement, l’autre à la fin du siècle dernier, persistent à chercher dans ces galeries le monument légendaire dont le nom a passa dans toutes les langues modernes, Pierre Belon et Richard Pococke en ont très bien reconnu et indiqué, le véritable caractère. Au fond du souterrain, nous avons lu très distinctement, gravé dans le tuf avec la pointe d’un couteau, le nom de Pococke, qui parcourut l’Orient de 1737 à 1742. Belon, trop peu lu aujourd’hui, est un des voyageurs les plus exacts et les plus judicieux, un des esprits les plus libres et les plus pénétrans qu’ait produits notre grand XVIe siècle. Il avait été envoyé par François Ier dans le Levant avec ce que nous appellerions aujourd’hui une mission scientifique ; il y passa quatre années entières, et ce fut en 1553 qu’il publia le récit de ses voyages, sous ce titre : Observation de plusieurs singularités et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Égypte, Judée, Arabie et autres pays estranges, en trois livres, par P. Belon, du Mans. Ce livre, où il y a encore beaucoup à apprendre, eut en peu d’années de nombreuses éditions.