Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/1005

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les garnit de canons, toute force insurrectionnelle rassemblée dans l’île. En revanche, construites selon l’ancien système et s’offrant de toutes parts aux boulets, elles ne tiendraient pas deux jours devant une flotte ou une armée européenne. Ce qu’il y a de plus beau à Candie, ce sont les restes de l’église de Saint-François[1]. Construite au XIVe siècle, elle était de style ogival, d’un goût élégant et riche. Changée en mosquée après le siège, elle ne fut pas réparée à temps, et le récent tremblement de terre a achevé d’en faire une ruine. On y avait employé les marbres les plus précieux, et, toute délabrée et croulante qu’elle soit aujourd’hui, elle donne encore quelque idée de son ancienne magnificence. Quant à la cathédrale, consacrée à saint Titus, elle est mieux conservée, et elle sert encore au culte musulman. Commencée en 1240 et achevée vers le commencement du siècle suivant, elle est plus grande que l’église de Saint-François, mais elle n’a jamais dû être aussi belle. La grande rue, que bordaient autrefois les palais des nobles vénitiens, a conservé peu de traces de sa première splendeur ; les tremblemens de terre et les incendies ont passé par là. Le monument qui a le mieux résisté, c’est l’arsenal. Comme aspect général, il rappelle par la colonnade, qui en forme la décoration principale, la façade du Garde-Meuble, à Paris, sur la place de la Concorde ; mais il est moins grand et moins beau que le palais construit par Gabriel. On peut y voir encore de très anciennes armes, et entre autres de grandes provisions de flèches. Cela indique qu’au XVIIe siècle les Vénitiens, ou quelques-uns du moins des auxiliaires qu’ils soudoyaient, employaient encore ce genre de projectiles. On sait en effet par les voyageurs que les Sfakiotes, ces descendans indomptés des anciens archers doriens, ont conservé fort longtemps l’armé chère à leurs ancêtres, et ne l’ont remplacée que très tard par le long fusil albanais à crosse en queue d’aronde, qu’ils manient maintenant avec une redoutable adresse.

Le port de Candie est mal fermé et peu sûr ; les goélettes et les bricks de Syra, de Trieste et de Marseille, qui viennent tous les ans y faire quelques chargemens d’huile ou de caroubes, y fatiguent parfois beaucoup et risquent d’y chasser sur leurs ancres. Il s’y fit pourtant, dans les beaux jours de la domination vénitienne, un commerce très actif et très prospère. « De toutes les parties du monde, dit le voyageur florentin Buondelmonte, qui visita la Crète

  1. Il parait que le nom et la réputation de saint François d’Assise s’étaient répandus jusque chez les Grecs schismatiques, car en 1414 ils avaient demandé et obtenu du pape Jean XXIII la permission de célébrer l’office selon leur rite dans cette église, le jour de la fête du saint, des premières aux secondes vêpres.— Cornélius, Creta sacra, t. II, p. 15.