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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/114

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ainsi que la splendide illumination qui termina le cours des fêtes dans la soirée du même jour. Il n’y avait pas ce soir-là dans tout Corfou si pauvre fenêtre qui n’eût ses lumières. Une foule compacte et enthousiaste remplissait les rues de la ville, où les lanternes vénitiennes et les verres de couleur dessinaient sur les façades dés maisons les plus élégantes arabesques, ou se suspendaient dans les airs en cordons de feu d’une hardiesse merveilleuse. De grands feux de joie brûlaient sur les sommets de toutes les montagnes de l’île ; d’autres y répondaient sur les cimes de la portion chrétienne des monts Acrocérauniens. Les rayas des provinces encore esclaves saluaient de loin le pavillon national qui s’arborait sur Corfou, et consolaient leur servitude par le spectacle de la délivrance d’une partie de leurs frères.

J’ai déjà insisté sur l’unanimité de ces démonstrations, sur la part égale qu’y prenaient les habitans, non-seulement de toutes les classes, mais de toutes les religions. La soirée du 10 octobre en offrait un remarquable exemple. Les juifs célébraient dans leur synagogue une cérémonie d’actions de grâces à l’exemple des chrétiens des deux rites et avec le même enthousiasme. Il y a six mille israélites à Corfou, et ils y sont fort différens des autres juifs du Levant, dont l’abjection, la barbarie et le fanatisme font reculer le voyageur qui s’aventure au milieu d’eux. Plusieurs de ces israélites corfiotes sont des gens instruits, quelques-uns ont acquis de grandes fortunes dans le commerce ou dans la banque et sont environnés de la considération publique. Leur journal, les Chroniques israélites, est peut-être le mieux rédigé de la capitale des Iles-Ioniennes. Sous la domination britannique, ces juifs sont demeurés, comme sous les Vénitiens, privés de tous droits politiques et soumis à des règlemens humilians et restrictifs qui dataient du moyen âge ; il y a deux ans seulement qu’ils ont cessé d’être cantonnés par la police dans un ghetto infect, dont on fermait sur eux les portes massives à de certains jours, comme le vendredi saint. Aussi les israélites de Corfou se sont-ils depuis longtemps déjà rangés avec ardeur dans le parti rhizospaste. L’union des sept îles à la Grèce est pour eux l’émancipation. En prenant place dans le royaume hellénique, où la liberté des cultes est entière, ils acquièrent l’égalité des droits civils et politiques : de parias ils deviennent citoyens. Leur joie est facile à comprendre ; mais pour un étranger ce n’était pas le moins curieux des spectacles offerts alors par Corfou que la solennité et l’élan d’enthousiasme avec lequel ils inauguraient dans leur synagogue l’étendard que décore la croix, devenue le symbole de leur propre délivrance.

Par une curieuse coïncidence, l’anniversaire de l’assassinat de