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avides et oisifs, détestés par des non privilégiés envieux et dénigrans ; elle ne contenait plus ni un homme, ni un corps, ni une classe avec qui le pouvoir royal eût sérieusement à compter : tout ce qui pouvait résister, tout ce qui avait une vie propre avait été annulé ou écrasé. Que ceux qui admirent cette parfaite unité d’un grand peuple n’oublient pas à quelles conditions Louis XIV l’avait obtenue. Pour tarir les sources de la diversité, il avait fallu tarir celles de la moralité. Pour soumettre la grande noblesse à l’uniforme discipline de la vie de cour, il avait fallu la caserner à Versailles, détruire pour elle la vie de famille, et lui faire oublier ces devoirs domestiques dont l’accomplissement journalier est sans contredit l’exercice le plus propre à former des cœurs honnêtes. Pour réduire au silence les voix qui n’étaient pas à l’unisson de celles du monarque, il avait fallu proscrire le protestantisme, bâillonner le quiétisme et le jansénisme, endormir et assujettir l’église, amortir la vie religieuse, et avec la vie religieuse le principe de la régénération des mœurs.

On a souvent développé les fâcheux effets politiques et économiques de la révocation de l’édit de Nantes : on parle trop peu des conséquences déplorables qu’elle a eues dans l’ordre moral et religieux. Il est de la nature du protestantisme d’exercer par sa présence une action vivifiante sur ceux même qui lui reprochent avec le plus d’amertume de ne pas s’incliner devant l’autorité souveraine de l’église. Le principe du libre examen met en mouvement et tient en éveil les esprits mêmes qui le combattent comme un principe de révolte et d’anarchie ; il les conduit, bon gré, mal gré, à étudier la liberté qu’ils attaquent et l’autorité qu’ils défendent ; il les provoque à se rendre compte de leurs croyances et à y conformer leur vie ; il communique à leur foi un caractère plus personnel, plus rationnel, plus énergique, plus efficace. Les peuples protestans se vantent parfois d’être par leurs habitudes religieuses mieux préparés que les peuples catholiques à intervenir dans le gouvernement de leurs affaires. — Ceux qui s’en remettent à un prêtre du soin de leurs intérêts spirituels ne doivent être que trop enclins, disent-ils, à s’en remettre à un prince du soin de leurs intérêts temporels. — Nous croyons que, sans renoncer à leur confiance dans l’infaillibilité doctrinale de l’église, les catholiques peuvent trouver dans la nécessité de défendre leur foi par la discussion un correctif à la disposition passive que l’habitude de se reposer sur autrui en matière religieuse engendre souvent chez eux. Le protestantisme est un stimulant dont l’église catholique aurait eu grand besoin en France dans le cours du XVIIIe siècle, et qui lui a manqué par la faute de Louis XIV. L’affaiblissement du catholicisme date en France de la révocation de l’édit de Nantes. En même temps qu’elle le conduisit