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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/235

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dépens de leurs semblables étaient plus exposés que d’autres affaire la rencontre, toute fortuite en apparence, de gens avinés qui les rouaient de coups, et l’on cite un journaliste qui, sous la reine Anne, fut attiré dans un guet-apens et battu à mort. Le soleil couché, on ne pouvait se promener avec sécurité dans Londres qu’à la condition d’être bien escorté. Échappait-on aux mohocks, on avait chance de tomber sur des brigands. Du 20 janvier au 10 février 1720, on compte dans les journaux une trentaine de cas d’attaques à main armée commises à Londres ou dans les environs sur des personnes de tous rangs. Tantôt, c’est la duchesse de Montrose qui, revenant de la cour, est arrêtée par trois cavaliers bien montés ; tantôt c’est le duc de Chandos qui, rentrant en ville avec sa suite, est assailli par cinq malfaiteurs, et réussit à les repousser ; tantôt c’est un pauvre ouvrier à qui un voleur casse le bras d’un coup de pistolet pour le punir de n’avoir qu’une bourse mal garnie ; tantôt ce sont des voyageurs qui se voient dévalisés en plein midi sur la grande route, à quelques milles de la capitale. Le jour, on n’avait assurément rien de pareil à craindre dans les quartiers populeux ; mais il fallait s’y tenir sans cesse en garde contre les filous qui ne respectaient rien, pas même les perruques. D’adroits coquins se promenaient parfois dans la foule, portant sur la tête un panier dans lequel se tenait un enfant exercé à happer au passage les chevelures artificielles des citadins distraits, et leurs tristes victimes n’avaient quelque chance d’échapper aux moqueries de la populace qu’en se sauvant dans un fiacre, au risque de se casser les reins dans les fondrières ou d’être atteintes par les coups de fouet que les cochers échangeaient avec les boueurs qui encombraient les rues, ou les charretiers qui injuriaient les passans.

De telles mœurs comportaient une singulière brutalité dans les actes et dans les paroles, et imposaient la nécessité de se faire justice à soi-même. Dans la classe supérieure, on dégainait pour un rien ; dans la classe inférieure, on boxait à tout propos. Les domestiques attroupés à la porte des parcs pour y attendre leurs maîtres se pochaient les yeux et se déchiraient les habits par simple passe-temps ; au théâtre, où ils avaient des places gratuites, leur impudence et leur grossièreté étaient des plus incommodes ; ils interrompaient la représentation par leurs bruyantes plaisanteries ; ils jetaient des pommes et des croûtes de pain sur la scène, et lorsque, pour mettre fin à ces désordres, on ferma en 1737 la galerie des valets de pied, les exclus, au nombre de trois cents, prirent d’assaut le théâtre de Drury-Lane, à la barbe du prince de Galles, après avoir blessé vingt-cinq personnes. Pour avoir définitivement raison des gens de livrée, il fallut mettre garnison dans la salle.