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qui ont une étendue de 15 à 20 hectares, mais dont les terres offrent la forme la plus extraordinaire, une bande de plus de 5,000 mètres de long sur 20 ou 30 mètres de large. De l’autre côté de la route s’étend jusqu’à la mer un long ruban de pâturages, et immédiatement derrière la maison la même bande étroite se poursuit jusqu’à la bruyère tourbeuse du Staphorster-veld. Sur une carte un peu détaillée de ce canton, ces interminables lisières parallèles présentent le plus singulier aspect. Chaque domaine est isolé par un fossé bordé de vieux saules où nichent les canards et par un chemin nécessaire à l’exploitation des terres. Environ un quart du terrain est ainsi enlevé à la production. D’abord viennent les champs labourés, puis des prairies, enfin la lande d’où on extrait encore du combustible, en attendant que la culture l’envahisse. Seigle après seigle, parfois jusqu’à trois années consécutives, puis pommes de terre, sarrasin et avoine, telle est la rotation ordinaire. Quoique cet assolement soit bien peu recommandable, les produits sont abondans, parce que, grâce à l’étendue des herbages, on peut entretenir un nombreux bétail. Un cheval, dix ou douze vaches à lait, autant d’élèves et beaucoup de porcs constituent le cheptel ordinaire.

Les instrumens aratoires sont peu perfectionnés ; mais cela importe peu, car presque toutes les façons données à la terre sont exécutées à la bêche, dont le haut est muni d’un petit rebord en fer où l’on pose le pied, afin de mieux l’enfoncer dans le sol. A Staphorst, on compte trois cents maisons, toutes situées le long de la route. Les 6,000 hectares de la commune de Rouveen sont divisés en neuf cents bandes de terrain. Cette singulière disposition, dont je n’ai rencontré d’exemple nulle part ailleurs, s’explique par la manière dont ces colonies frisonnes se sont développées. Chacun a établi sa demeure le long de la route et a commencé de mettre en valeur le terrain qui s’étendait devant et derrière sa maison, et le domaine s’est allongé sans cesse, à mesure que la bêche faisait de nouvelles conquêtes, d’un côté sur le marais, de l’autre sur la bruyère. Avant que la route actuelle vers la Frise ne fût ouverte, ce district était tout à fait infranchissable pour les charriages, et au temps des guerres du XVIe siècle les armées espagnoles s’y sont plus d’une fois embourbées. Le bien-être, la prospérité dont jouissent ces intéressantes communes montrent bien que, malgré la détestable qualité du sol et les plus mauvaises dispositions des champs cultivés, un travail opiniâtre et stimulé par le sentiment de la propriété suffit pour transformer un véritable marécage en un canton très productif où vit une nombreuse population religieusement fidèle, en ce siècle de transformations rapides, aux vieilles coutumes de ses aïeux les Frisons et à la foi austère qu’ils ont su défendre jadis contre Rome et Philippe II.