Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

munie d’un pont qui lui appartient, ou assise près d’un des cent ponts de la route, de sorte qu’il y a au moins autant de ponts que de maisons. En voyant l’élégance de ces habitations, l’importance des églises et dés écoles, le luxe des magasins à grandes glaces, on croirait que ces localités si prospères sont peuplées uniquement de ces rentiers hollandais que le peuple appelle ironiquement coupon-knippers, parce qu’ils n’ont rien à faire, sauf à détacher les coupons semestriels de leurs fonds publics. Et cependant ce sont bien des habitations rurales, car derrière chacune d’elles on aperçoit la grange et les champs cultivés qui s’étendent à perte de vue. La plupart des habitans sont cultivateurs en effet, mais beaucoup d’entre eux possèdent aussi, indépendamment de leurs fonds publics, des parts dans des navires ou dans des chantiers de construction[1]. C’est un exemple bien rare de l’association intime de deux branches de la production qui semblent devoir rester étrangères l’une à l’autre, la navigation et l’agriculture.

La manière dont le sol est mis en valeur n’est pas moins remarquable que la façon dont il a été créé et dont il est occupé. Les fermes ont de 10 à 20 hectares, et presque tous les cultivateurs sont propriétaires ou locataires héréditaires (beklemde meyers) de celles qu’ils exploitent. Ils ne reculent pas devant les avances ; chaque année, ils achètent pour 2 ou 3,000 francs d’engrais de toute sorte, surtout des boues de rue que des bateaux amènent d’Amsterdam et des autres villes hollandaises à travers le Zuyderzée ou de la ville de Groningue, qui a depuis 1628 arrêté les meilleurs règlemens pour recueillir toutes les matières fertilisantes, trop souvent perdues ailleurs. Ils emploient aussi pour stimuler leurs récoltes le limon fertile que la mer dépose dans le Dollard, le fumier de l’hiver qu’ils obtiennent des fermiers de la zone argileuse moyennant 36 ou 40 francs par tête de bétail, enfin jusqu’à des moules qu’on répand ici sur les champs dans la proportion de 200 à 300 hectolitres par hectare, au prix de 50 centimes l’hectolitre.

L’assolement partout suivi est excellent ; il est strictement alterné ; jamais deux récoltes épuisantes ne se suivent, et après une rotation de cinq et six ans on laisse la terre en prairie pendant une couple d’années. On applique d’ailleurs, depuis plus de cent ans, avec des instrumens très simples, un procédé généralement considéré comme une invention récente de l’agriculture anglaise ; je veux parler des semailles en ligne, qui exigent moins de semences et qui permettent de biner deux fois les récoltes sur pied. Les produits répondent

  1. Dans les six villages, plus de soixante chantiers lancent par an de soixante à soixante-dix bâtimens de mer, sans compter les bateaux de rivière, et plus de sept cent cinquante capitaines de navire y ont leur demeure.