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que le modèle proprement dit était moins employé dans l’atelier grec que dans le nôtre, parce qu’il n’y était pas aussi nécessaire.

En fut-il de même à l’égard de la beauté féminine ? Les sculpteurs grecs qui l’ont si parfaitement traduite, étaient-ils mieux que nous en mesure de l’étudier ? Émeric David l’a nié ; Les pays où fleurissait la sculpture, a-t-il dit, étaient les moins riches en belles femmes : Phryné était de Thèbes, Glycère de Thespies, Aspasie de Milet. — Qu’importe, répondrons-nous, si dès qu’une seule beauté existait quelque part, elle devenait aussitôt célèbre, et si la nation tout entière, y compris les artistes, enflammée d’enthousiasme, recherchait, adorait, déifiait presque cette merveilleuse créature ? Qu’importe si on lui élevait des statues d’or pendant sa vie, comme à Phryné, et après sa mort un magnifique tombeau, comme à Pythionice ? Cette passion idolâtrique du beau, certainement attisée par le climat, et d’ailleurs fertile en conséquences immorales et déplorables, faisait qu’à Athènes ou à Argos un seul modèle remarquable inspirait plus de chefs-d’œuvre que n’en produirait dans tel autre pays une race pareille à celle des filles du Caucase. Que le gynécée ait été impénétrable, qu’il ait été interdit aux femmes non-seulement de figurer aux jeux olympiques, mais encore d’y assister, que le sculpteur grec ait été forcé de demander à des courtisanes les plus intimes révélations de l’art, il faut bien l’accorder ; mais il n’est pas exact que les filles et les femmes d’Athènes et des autres villes vécussent toujours cloîtrées au fond de leurs appartemens. N’oublions pas que le calendrier était alors déjà très chargé de fêtes publiques et solennelles. Qu’on lise Creuzer traduit par M. Guigniaut, qu’on étudie l’Histoire des Religions de la Grèce antique de M. Alfred Maury, on y apprendra que les femmes et les jeunes vierges étaient admises aux processions, qu’elles y portaient tantôt des corbeilles et des attributs sacrés, comme sur la frise du Parthénon, qu’elles y exécutaient des danses, des marches expressives, des pantomimes symboliques quelquefois avec pudeur et modestie, quelquefois aussi avec de honteux emportemens qu’autorisait par malheur le culte de certaines divinités. Aux fêtes éléennes de Junon ou plutôt d’Héra, seize femmes choisies pour leur vertu et respectables par leur âge précédaient le cortège. À Délos, les jeunes filles, couronnées de fleurs, représentaient dans des ballets religieux l’histoire d’Apollon et d’Artémis et les aventures de Latone. Les jeunes Athéniennes, à leur tour, imitaient en se balançant l’agitation de l’île lorsqu’elle était ballottée par les flots, et les jeunes Déliennes se mêlaient ensuite aux danseurs pour simuler, par des figures chorégraphiques, les détours sinueux du labyrinthe de Crète. À Sparte, les vierges, vêtues de la simple tunique, menaient sans pudeur des danses furibondes