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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/381

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occasion de déployer toutes ses richesses intérieures. Pourquoi faut-il qu’on n’ait pu le conserver avec ses grandes lignes et ses vivans détails ? Nous en avons des débris ou des résumés, débris pleins de grandeur encore, résumés qu’illuminent les reflets d’une belle âme. Qu’est devenue cependant l’ordonnance du tableau ? Où est l’architecture du monument ? Le volume intitulé Moralistes des seizième et dix-septième siècles[1] est une série d’études où apparaissent tour à tour Rabelais et Montaigne, Pierre Charon et Jean Bodin, La Rochefoucauld et La Bruyère, Saint-Évremond et Bayle. Pascal, qui devait occuper une si grande place dans ce groupe, a été réservé par les éditeurs pour une publication à part. Deux autres volumes donnés sous ce titre : Histoire de la Littérature française au dix-huitième siècle, renferment aussi des fragmens du cours de 1833, mais des fragmens mêlés à des leçons d’un cours tout différent professé plus tard à Lausanne. Quant aux poètes considérés comme moralistes, c’est-à-dire comme révélateurs de la nature humaine, nous les cherchons en vain dans les reliquiœ mis au jour par les disciples du maître, car les leçons consacrées aux poètes du siècle de Louis XIV et publiées récemment appartiennent à un cours moins spécial qui occupa Vinet pendant les dernières années de sa carrière.

Pour avoir une idée de ce monument idéal que Vinet, de sa voix émue, élevait dans sa chaire de Bâle en 1833, il suffit d’examiner un de ces larges débris dont je parlais tout à l’heure, les Etudes sur Blaise Pascal[2]. Dix années avant que M. Cousin, en son mémorable rapport, eût saisi tous les esprits élevés de la question du scepticisme de Pascal, Vinet, au milieu de ses élèves, avait débattu tous les problèmes tant agités depuis ce moment, et du premier coup, sans connaître encore l’édition des Pensées faite sur le manuscrit de l’auteur, il était arrivé aux conclusions qui sont demeurées celles de l’histoire. Pascal chrétien et non Pascal sceptique, Pascal animé d’une foi dont le caractère est extraordinaire, dont la logique passionnée paraît exorbitante, mais dont toutes les démarches sont aussi sûres que hardies, Pascal élargissant la plaie du genre humain, dans l’espérance d’atteindre le germe du mal et de l’extirper, Pascal qui hait le moi, qui n’étale jamais l’individu, qui, en parlant à la première personne, ne fait que se substituer par procuration à l’humanité tout entière, et qui est pourtant une âme si pleine, une personnalité si forte, un protagoniste si puissant dans le mystérieux combat de la destinée, Pascal enfin, le plus homme

  1. Publié douze ans après la mort de Vinet. 1 vol. in-8o, Paris 1859.
  2. 1 vol. in-8o, Paris 1856.