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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/388

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pas qu’il surfasse leur mérite ; à part même la haute impartialité de sa conscience, il est trop lettré pour céder à des préventions d’église. Personne n’a indiqué avec plus de précision les défauts de la prédication protestante dans le siècle de Bossuet. Je trouve même qu’à force de scrupules il est parfois injuste, et je m’étonne par exemple que, songeant aux grands virtuoses de la chaire catholique, il affirme sans hésiter l’infériorité littéraire de ses héros. Est-ce donc à Bossuet, à Bourdaloue, à Fénelon, qu’il faut comparer Michel Le Faucheur et Raymond Gâches, c’est-à-dire des hommes qui les ont précédés d’un demi-siècle et leur ont frayé la voie ? Mettez-les, ces vaillans hommes, en face de leurs contemporains, confrontez-les avec leurs adversaires et leurs émules ; vous saurez alors le rang qui leur est dû. Bayle raconte que Jean Mestrezat, ayant rencontré un abbé de sa connaissance qui avait prêché un carême avec applaudissement, s’empressa de l’en féliciter : « J’ai pris dans vos sermons, lui répondit l’autre, tout ce que j’ai dit de meilleur. » Ce n’était pas là le simple compliment d’une bouche courtoise ; la prédication protestante du XVIIe siècle a contribué plus qu’on ne pense à préparer les grandeurs littéraires qui l’ont justement éclipsée.

Ramené par son enseignement théologique à la question qui dominait pour lui toutes les autres, Vinet résolut de donner à ses principes encore un peu vagues ou vaguement compris une formule définitive. Il s’agissait, on l’a vu, de la liberté religieuse telle que l’entendaient les hommes du réveil, il s’agissait de l’indépendance absolue de la conscience, de l’individualité de la vie chrétienne. Sous ces termes abstraits grondait une polémique ardente ; c’était la lutte de la conscience libre contre l’église nationale. L’église nationale du canton de Vaud était pour Vinet et ses amis ce qu’avait été l’église catholique pour les réformateurs du XVIe siècle, une organisation adultère, une alliance à demi politique, à demi ecclésiastique, où le mécanisme de l’état étouffait le droit de l’âme. C’est ce droit de vivre, d’aimer, de prier à sa manière, le droit de communiquer directement avec Dieu, qui était réclamé par Vinet. Les sources de la vie chrétienne, dégagées violemment au XVIe siècle par la destruction de la théocratie, s’étaient obstruées de nouveau sur le sol protestant ; il fallait les dégager une seconde fois et renouveler les eaux stagnantes. S’il y a dans toutes les sociétés un instinct légitime qui tend à fixer les résultats acquis, il y a un autre instinct plus légitime encore qui défend aux résultats de devenir un obstacle, à l’esprit de s’engourdir, à la vie de se figer. Déjà en