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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/390

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les âmes au lieu de les persuader. Manié et remanié pendant trois ans, le mémoire couronné en 1839 parut enfin en 1842.

Inutile de dire que l’Essai sur la manifestation des convictions religieuses fut un véritable événement dans l’histoire de la Suisse au XIXe siècle. Quant à nous, simples spectateurs, spectateurs sympathiques, mais trop éloignés du champ de bataille pour nous intéresser à tous les détails de la lutte, l’ouvrage nous paraît inférieur à ce qu’on devait attendre d’un si rare esprit. Les scrupules du chrétien ont effacé l’originalité de l’écrivain. L’abondance des pensées de détail ralentit la marche de l’orateur, et la vigueur de l’argumentation se dépense en subtilités. On voudrait que les grandes lignes de l’œuvre fussent plus nettes, les arêtes plus saillantes, on voudrait que toutes les parties ne fussent pas noyées dans une lumière uniforme. Au milieu des richesses confuses de la discussion, il faut plus d’un effort pour retrouver l’enchaînement des principes et le formuler ainsi : « C’est un devoir pour l’individu de se former une conviction religieuse, c’est un devoir pour lui de la manifester ; or, si l’état est considéré comme une personne, si l’état professe une foi, une croyance positive, l’individu ne peut en avoir une. La conscience de l’état absorbe nécessairement la conscience individuelle. » Voilà certes une façon neuve et hardie de résoudre la question. Dans tout ce qui intéresse les rapports de l’homme avec Dieu, la conscience de Vinet est si délicate et si vive qu’il pousse les principes à l’extrême, au risque de n’être compris qu’à moitié ou de ne pas l’être du tout. Il a dit quelque part : « Je ne suis pas de ces écrivains qui naissent traduits ; j’ai besoin qu’on me traduise, et l’on me traduira, si ce que j’ai dit en vaut la peine. » Il ne faut pas prendre cette déclaration au pied de la lettre, elle serait même absolument fausse, si on l’appliquait à ses œuvres d’histoire et de critique littéraire ; j’ai senti toutefois, en étudiant le livre dont nous parlons, qu’il y avait là autre chose qu’une humilité excessive. L’Essai sur la manifestation des convictions religieuses est un ouvrage à traduire. Composé pour les luttes de Lausanne, il s’adresse à tous les pays chrétiens, et il peut arriver qu’on ait à le traduire un jour, c’est-à-dire à en dégager l’idée maîtresse pour la produire à la lumière. Si ce jour arrive, et si la traduction est bien faite, on admirera chez Vinet des beautés du premier ordre. Les théologiens, les jurisconsultes, les hommes d’état, opposeront à un système si absolu les objections du bon sens et de l’esprit pratique ; ils ne pourront, s’ils sont justes, méconnaître chez l’auteur l’élévation de la pensée, l’ardeur et la noblesse de la foi.

Une des meilleures parties de ce manifeste est celle où l’auteur répond au reproche d’individualisme. — Quoi ! s’écrient les sages,