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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/402

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entremetteuses, à des sages-femmes, et il fut soupçonné d’avoir, quelques années auparavant, empoisonné le duc de Savoie. Bachimont, qui le chargea beaucoup par ses aveux, était un de ses agens et vivait du même métier. Avec ce fil conducteur, La Reynie remonta par induction à un certain nombre de personnes plus ou moins compromises qu’il fit arrêter : c’étaient une femme La Bosse, veuve d’un marchand de chevaux, la Vigoureux, mariée à un tailleur d’habits de femme (notre siècle de progrès ne saurait donc revendiquer l’honneur de cette délicate invention), un nommé Nail et une femme Lagrange. Reconnus coupables d’avoir préparé des poisons, ces deux derniers, dont la cause parut pouvoir être jugée à part, furent condamnés à mort par arrêt du parlement et exécutés le 6 février 1679. Cependant un arrêt du conseil du 10 janvier de la même année avait chargé La Reynie d’informer contre les femmes La Bosse, Vigoureux et leurs complices. Le 12 mars, une arrestation qui devait exercer une influence considérable sur le procès, celle de Catherine Deshayes, femme d’Antoine Monvoisin ou Voisin, joaillier, avait lieu, à l’issue de la messe, à l’église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. A partir de ce jour, l’affaire des poisons prit des proportions inattendues. Pour la soustraire à la publicité, le gouvernement institua le 7 avril une chambre royale devant siéger à l’Arsenal, à laquelle le peuple donna les noms de chambre ardente ou chambre des poisons. La Reynie et un autre conseiller d’état, Louis Bazin, seigneur de Bezons, en furent nommés rapporteurs. Bientôt, malgré la discrétion recommandée aux juges, le bruit courut dans Paris que les noms les plus élevés et les plus rapprochés du trône étaient compromis par la Voisin. Un jour enfin, le 23 janvier 1680, on apprit qu’un prince de la maison de Bourbon, le comte de Clermont, la duchesse de Bouillon, la princesse de Tingry, dame du palais de la reine, la marquise d’Alluye, cette ancienne maîtresse de Fouquet, dont on a des lettres si expansives, la comtesse du Roure, Mme de Polignac, le duc de Luxembourg et bien d’autres du plus haut rang, étaient décrétés par la chambre ou renfermés à la Bastille. On racontait encore qu’une sœur de la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons, cette altière nièce du cardinal Mazarin, qui, après avoir été l’une des premières maîtresses du jeune roi, était devenue surintendante de la maison de la reine, avait, grâce à l’indulgence de Louis XIV, quitté Paris en toute hâte pour éviter le même sort.

Que ne dirait-on pas contre la France moderne, si un fait analogue venait à s’y produire ! Que d’indignations et de colères, que de retours vers le passé, que de regrets ! Au XVIIe siècle, les populations étaient tellement familiarisées avec les soupçons d’empoisonnement,