Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouver à railler Volusius ou à déchirer César, ils préféraient chanter leurs amours. C’est de là aussi que leur est venue leur gloire. La poésie élégiaque des Latins n’a rien à opposer à ces courtes et charmantes pièces que Catulle a écrites pour Lesbie. Properce mêle trop de mythologie à ses soupirs ; Ovide n’est qu’un débauché spirituel : Catulle seul a des accens qui pénètrent. C’est qu’aussi lui seul était blessé d’un amour sincère et profond. Jusque-là il avait mené une vie dissipée et folle, et son cœur s’était fatigué dans des liaisons passagères ; mais le jour où il a rencontré Lesbie, il a connu la passion. Quoi qu’on puisse penser de Clodia, l’amour de Catulle la relève, et il n’y a rien qui lui soit plus favorable que d’être entrevue à travers cette admirable poésie. Ces fêtes qu’elle donnait à la jeunesse de Rome, et sur lesquelles nous regrettions tout à l’heure de n’avoir pas assez de détails, les vers de Catulle les animent et semblent nous les rendre vivantes, car n’est-ce pas pour ces réunions charmantes, pour ces repas libres et somptueux, qu’il a composé ses plus beaux ouvrages ? C’est là sans doute, sous les ombrages des rives du Tibre, qu’a été chantée cette belle imitation qu’il avait faite pour Lesbie de l’ode la plus brûlante de Sapho. C’est peut-être au bord de la mer de Baïes, en face de Naples et de Caprée, sous ce ciel voluptueux, au milieu des séductions de ce pays enchanté, qu’ont été lus pour la première fois ces vers où tant de grâce se mêle à tant de passion, et qui sont si dignes de l’admirable paysage au milieu duquel je me plais à les placer :


« Vivons, aimons, ma Lesbie, et moquons-nous ensemble de tous les reproches des vieillards sévères. Le soleil meurt pour renaître ; mais nous, : quand notre courte lumière est une fois éteinte, c’est une nuit éternelle qu’il nous faut dormir sans réveil. Donne-moi mille baisers, puis cent, puis mille, puis cent encore, puis encore mille et cent nouveaux. Ensuite, quand nous nous serons embrassés des milliers de fois, nous embrouillerons le compte, pour ne plus le savoir et ne pas laisser aux jaloux un prétexte à nous envier en leur faisant connaître combien de baisers nous nous sommes donnés ! »


C’est un moment curieux pour la société romaine que celui où l’on y rencontre pour la première fois ces réunions polies, dans lesquelles on cause de tout, où les rangs sont mêlés, où les écrivains ont leur place à côté des hommes politiques, où l’on ose aimer ouvertement les arts et traiter l’esprit comme une puissance. On peut dire, pour employer une expression toute moderne, que c’est la vie du monde qui commence. Chez les vieux Romains, il n’y avait rien de semblable. Ils vivaient sur le Forum ou dans leurs maisons. Entre la foule et la famille ils ne connaissaient pas cette sorte d’intermédiaire qu’on appelle le monde, c’est-à-dire ces réunions délicates et choisies, nombreuses sans confusion, où l’on est à la fois