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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/670

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d’un ordre qu’on croit tuer quelquefois et qui n’est jamais mort, dont les tronçons se rejoignent silencieusement, qui est la concentration vivante de tout un esprit religieux, la plus redoutable machine de propagande et de discipline. — Les jésuites, dira-t-on, ne font que se servir de la liberté donnée à tous dans l’éducation ; que leur voulez-vous ? Ils fondent des maisons d’enseignement qu’ils soutiennent avec les ressources qu’on leur offre, qui s’alimentent de toute une jeunesse accourue autour d’eux ; l’ascendant qu’ils exercent s’appuie sur la volonté spontanée des consciences ; la popularité dont ils jouissent dans un certain monde tient à leur talent et à leurs lumières. Où donc est leur faute ?

Oui, sans doute, les jésuites ont le droit, la liberté de tout le monde, et je n’irai pas contester leurs mérites. Individuellement ce sont bien souvent des hommes de savoir, d’habileté ou de vertu. Il y a parmi eux des savans, des casuistes d’une dangereuse finesse dans l’analyse de la conscience, des instituteurs merveilleusement propres à manier la jeunesse, à l’assouplir, au risque de lui ôter de sa virilité. D’où vient donc cependant que la défiance contre eux renaît et s’accroît à mesure que leur influence semble se développer et redevenir prédominante ? C’est qu’avec ces lumières, ces vertus, ces aptitudes, ils forment un corps dont l’esprit, supérieur à toutes les volontés individuelles, impénétrable à ceux même qu’il fait mouvoir, insaisissable pour les pouvoirs civils, inquiète et trouble la société moderne ; c’est que cet ordre, puissant par l’abnégation obéissante de tous ses membres, par la fixité de son but de domination spirituelle, armé pour la lutte, est l’expression la plus énergique, la plus concentrée et la plus absolue de ces doctrines d’un catholicisme immobile qui sont toujours une menacé justement parce qu’elles se croient vraies et croient que le monde leur appartient de droit. Des observateurs puérils ont imaginé quelquefois que la puissance et les succès des jésuites n’étaient que le résultat d’habiletés équivoques, de calculs vulgaires et tout humains. C’est au contraire parce qu’ils sont convaincus qu’ils sont puissans, et c’est parce que cette conviction, d’une sincérité, redoutable, est d’ordre religieux qu’ils défient tout, qu’ils ne se lassent jamais : patiens quand la patience est nécessaire, agissant comme la foudre quand il le faut, modestes et dominateurs, personnellement désintéressés et ambitieux pour leur ordre, se servant ; du clergé séculier ou lui mettant le frein, subordonnant tout en un mot à un but, dont la légitimité absout à leurs yeux tous les moyens, tous les efforts, même la ruse, les séductions secrètes et la violation des lois humaines.

C’est par là qu’aujourd’hui comme toujours ils ont réussi, qu’ils