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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/748

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Ces traditions, ces doctrines, c’est à Cuba qu’il faut aller les étudier sur le vif, sinon telles que Lopez voulait les appliquer brutalement, au moins dans l’expression officielle que leur donnait en 1858 le message du président Buchanan. — Il faut que cette île soit à nous, y posait-il en principe ; cela doit être, cela sera. À la vérité nous nous devons à nous-mêmes de répudier toute annexion violente, et de désavouer les annexions de flibustiers, quels qu’ils soient ; mais il en est autrement d’un marché loyalement proposé. Offrons donc à l’Espagne un bon prix de sa colonie ; si elle refuse, alors pour nous le moment sera venu d’aviser. — Je me borne à reproduire le sens général du message dans lequel, sans dire expressément qu’un refus eût été considéré comme un casus belli, on le donnait à entendre. Jusqu’où ces étranges notions de droit des gens eussent été poussées, si la guerre n’eût tout bouleversé, nul ne saurait le dire ; toutefois ce que l’on peut affirmer sans crainte, c’est que l’Américain ne voit là qu’une partie remise et non abandonnée. Conquête, achat ou annexion, il caresse sa convoitise depuis tant d’années, qu’elle a fini par devenir à ses yeux chose non-seulement avouable et licite, mais de plus assurée de réussir dans un délai plus ou moins long. Aussi chaque année part-il des États-Unis un nouvel essaim de voyageurs dont les impressions, religieusement publiées au retour, offrent un caractère des plus significatifs ; on dirait de ces flammes qui, ne pouvant atteindre un objet trop éloigné, le lèchent comme instinctivement de l’extrémité de leurs langues fourchues. L’un intitule son livre Gan-Eden en souvenir du jardin enchanté des Mille et une Nuits, où le calife Haroun-al-Raschid venait chercher l’oubli de ses peines. Un autre ira plus loin et prédira hardiment le jour où les îles de toutes nations qui couvrent ces mers s’inscriront au ciel étoile de l’Union, où la mer caraïbe comme le golfe du Mexique ne formeront qu’un lac yankee. L’un de ces enthousiastes assistait dans la cathédrale de La Havane à un Te Deum en l’honneur de la reine d’Espagne. « Tout à coup, s’écrie-t-il, je crus être témoin d’un de ces effets d’optique où les vues d’un panorama semblent se dissoudre en se succédant. Au lieu d’une troupe d’officiers empanachés, couverts d’or et de décorations, je vis un austère cortège de Yankees, maigres et faméliques (lean and hungry), en gilets de satin noir. Au lieu d’un capitaine-général aux plaques étincelant sous le grand cordon rouge m’apparut le gouverneur de l’état en simple habit noir. Ce n’était plus la puérile ostentation des pompes catholiques, mais bien une procession solennelle, allant écouter au théâtre Tacon (le principal théâtre de La Havane) un discours en l’honneur de l’indépendance américaine, a fourtt of july oration. »