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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/751

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à l’appui. C’est moins un champ de bataille qu’un champ commercial que nous avons voulu montrer dans nos Antilles, et à ceux qui argueraient de l’exiguïté de leurs dimensions pour y mal augurer de l’avenir, nous répondrons par un exemple de la prospérité que développe la liberté commerciale. L’une des plus petites des Indes occidentales, et l’une des moins fertiles, est assurément l’îlot danois de Saint-Thomas. Cinq lieues sur trois, telle est sa mesure : Sancho lui-même eût demandé davantage pour son royaume de Barataria. Pourtant, depuis plus d’un siècle et demi, il a suffi de la liberté du commerce pour faire de ce rocher aride l’un des centres les plus importans de l’archipel. Dès 1701, un voyageur français, le père Labat, parlait avec enthousiasme « de ce lieu riche et toujours plein de toutes sortes de marchandises, de ce port ouvert à toutes les nations, et servant d’entrepôt au commerce que les Français, les Anglais, les Espagnols et les Hollandais n’osaient faire ouvertement dans leurs îles. » Le bon père y achetait pour 5 écus ce qui en valait 25 à la Martinique, et pour 15 ce qui en eût coûté 100 en France. Le gouvernement danois eut le bon esprit de consacrer officiellement cette liberté en 1764, et depuis lors les sottes entraves apportées au commerce des îles voisines n’ont cessé de donner à la prospérité de Saint-Thomas un essor dont il est impossible de ne pas être frappé dès le premier coup d’œil jeté sur la ville. Tout y est mouvement et animation, tout y respire la confiance et la richesse. Les débarcadères sont incessamment couverts d’une foule active et bariolée, occupée à charger ou à décharger les navires de toutes nations qui peuplent le port, car chacun vient y chercher fortune, Danois et Américains, Français et Anglais, Allemands et Espagnols. De plus c’est là qu’aboutissent les diverses lignes des packets britanniques de ces mers, c’est le centre du réseau, l’étape obligatoire de tous les voyageurs. Deux fois par mois, la rade se couvre en un jour ou deux des nombreux courriers secondaires qui se rattachent à l’artère principale : l’un arrive de Panama, avec les lointains pionniers du Pacifique, un autre de Carthagène et des ports de la côte ferme, un troisième des colonies espagnoles ; un dernier aura desservi les îles du Vent jusqu’à la Guyane. Tous attendent la venue du rapide vapeur qui franchit en onze jours l’Océan entre Southampton et Saint-Thomas. À peine est-il signalé, que d’un bout de la ligne à l’autre de noirs panaches de fumée annoncent que chacun se dispose à partir ; en quelques heures, de toute la flotte, le puissant steamer transatlantique reste seul au mouillage.

Ce vivant tableau maritime, que j’ai maintes fois contemplé d’un œil d’envie en me reportant aux apathiques allures des ports de nos Antilles, la Martinique nous l’offrira désormais, grâce aux lignes