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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/776

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REVUE DES DEUX MONDES.

ressorte un peu dans la pièce que Scribe n’a pu achever, c’est la sémillante Figarina, qui voit tout, qui entend tout et qui conduit toute l’intrigue avec l’adresse d’un Figaro féminin. C’est elle qui reçoit clandestinement les baisers qu’on croit donner à la princesse, ce qui rappelle encore une scène délicieuse du Comte Ory. — E per ciò si disse : Bocca bacciata non perde ventura, anzi rinnuova, corne fa la luna, ces mots qui terminent le conte de Boccace contiennent toute une philosophie qu’on chercherait vainement dans les trois actes et les six tableaux dont M. Auber a fait la musique.

Pour ne pas manquer de respect à un maître illustre qui a tant fait pour charmer les hommes de son temps, nous allons signaler du doigt les morceaux que le public a le mieux accueillis. L’ouverture, comme toujours, est bâtie avec des motifs empruntés à la partition, et, bien que cette petite symphonie soit finement traitée, elle n’a aucun caractère. Je ne puis signaler au premier acte qu’une romance de ténor que chante le neveu du roi et que M. Achard rend avec émotion. Cette romance, accompagnée avec goût, est fort applaudie et produit d’autant plus d’effet que c’est une perle isolée dans le premier acte. Les autres morceaux, tels qu’un duo bouffe entre le roi et son échanson, un petit air que chante le page et un quatuor qui vient après, sont des réminiscences du maître, affaiblies par des rhythmes vulgaires et sautillans qui persistent jusqu’à la fin de l’ouvrage. Nous l’avons déjà dit, le nocturne du second acte entre Alaciel et la barbière Figarina, le trio qui le suit, sont encore des effets connus qui augmentent l’ennui qu’on éprouve déjà, car la scène confuse et bruyante qui termine le second acte, et dans laquelle apparaît une troupe de brigands, de moines et de baladins, n’est qu’un petit chaos qui ne vaut pas la bacchanale de Gustave. Pour ne rien oublier, nous citerons encore au troisième acte un petit chœur, chanté par une troupe de pages en goguette, dont le rhythme ici est très heureusement choisi, et l’air que chante Figarina : — Dix perles, dix baisers.

Voilà ce que renferment de plus saillant les trois actes de la Fiancée du roi de Garbe, succession arbitraire de scènes épisodiques qui ne tiennent l’une à l’autre que par des changemens de décors. Le spectacle en effet est assez varié, et le nombreux personnel qui prend part à l’action éveille un peu l’attention du spectateur. L’exécution d’ailleurs est assez bonne. Mlle Cico a de la grâce dans le rôle de Figarina, et M. Achard chante avec un beau sentiment la romance du premier acte et les autres morceaux où il prend sa part dans les second et troisième actes. Cette figure piquante de Figarina doit être de Scribe, ainsi que l’introduction du collier, stratagème ingénieux qui, dans un drame bien conçu, produirait un effet certain. Quoi qu’il en soit de la valeur de cette dernière production de deux hommes justement célèbres, qui pendant un demi-siècle ont amusé la France et l’Europe, il n’est pas impossible que la curiosité qu’excite naturellement le nom de M. Auber, que le spectacle et les quelques morceaux agréables que