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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/814

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REVUE DES DEUX MONDES.

ner sur l’assemblée des yeux brillans ; puis, comme elle s’agenouillait auprès de Julien, l’humilité redescendit dans son cœur. Elle se dit que ce n’était point à ses côtés, mais devant lui qu’elle devrait se mettre à genoux...

Le prêtre alors, ayant béni l’anneau, le présentait à Julien, qui le prit brusquement. Lucy lui tendait sa main ; il lui passa cet anneau d’or au doigt, et tout bas : Lucy, lui dit-il, j’eusse mieux aimé la bague d’argent. — Si bas qu’il eût parlé, le prêtre entendit et lui jeta un regard sévère ; mais avant d’avoir atteint l’époux, ce regard s’arrêta stupéfait sur l’épouse. Elle avait la tête penchée sur sa poitrine, et en une seconde l’expression de son visage avait changé. Jamais on ne vit de joie plus subitement coupée dans sa fleur. Il y eut, après la cérémonie, un grand repas chez la baronne d’Espérilles. Quand s’achevèrent ces noces de Gana, la nuit était venue. Au moment de dire adieu aux deux époux, la sainte femme étendit sa main d’ivoire comme pour les bénir. Ce fut un effet manqué. Julien regarda la baronne en face : elle ne s’y méprit point ; il venait de lui faire entendre clairement que son règne était passé. De quelques tourmens cachés, de quelque effroyable mélange que se composât son bonheur, enfin il en était le maître. Il s’empara du bras de Lucy ; il prenait possession de son bien. La voiture les attendait tous deux ; mais, comme ils allaient y monter, ils rencontrèrent la petite Lucette aux mains des servantes. Lucy s’arrêta pour embrasser sa fille ; l’enfant vint ensuite tendre son front à Julien et lui demanda de l’emmener. Pour toute réponse, il la souleva et la mit dans la voiture auprès de sa mère. Oui, voilà le seul partage d’amour qu’il acceptât désormais. Lucy devina sa pensée ; elle lui donna l’une de ses mains, tandis qu’elle embrassait de nouveau sa fille. Leurs yeux émus se rencontrèrent au-dessus de cette jeune tête : un souffle pur vint enfin passer entre eux après cette lourde journée.

Ce fut donc sans trop d’oppression ni de peur que Lucy, lorsqu’on arriva à l’hôtel de son mari, pénétra dans ce nouveau monde. Tout allait en effet y être nouveau, les murailles et les meubles, jusqu’aux serviteurs, et l’air qu’on y respirerait et les pensées qui circuleraient dans l’air. On entra d’abord dans un petit salon qui s’ouvrait sur le jardin. Lucy jeta furtivement les yeux autour d’elle. D’avance elle savait que le salon ne serait point tendu de bleu, la couleur qu’elle aimait le plus, car son salon de l’hôtel Lallia était bleu ; mais si là tout était inconnu pour elle, il n’en était pas de même pour Lucette. L’enfant avisa tout de suite le grand coffre où elle renfermait ses jouets.

Voilà le seul objet qui eût trouvé grâce devant Julien, le coffre à