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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/816

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REVUE DES DEUX MONDES.

C’est un lieu commun. Pour prouver qu’ils ont l’un et l’autre, il nous suffira de raconter l’histoire du comte ***. Le comte avait formé sous le voile une liaison qui n’était guère connue que de l’univers. L’amour et la beauté habitaient sa maison depuis quatre ans, et c’était un enchantement qui promettait de ne jamais finir, quand survint un trouble-fête. La belle amie du comte et le nouveau-venu, le larron, avaient naguère, il y a longtemps, avant que la première ne fût la veuve consolable que nous avons admirée tous (le pauvre mari !), la belle amie du comte donc et le larron avaient suivi ensemble le chemin des amoureux. Depuis, celui-ci s’en était allé à nos antipodes, ou peu s’en faut, chercher fortune ; mais si loin qu’on aille, quand on a logé le petit dieu dans son cœur, il nous ramène toujours. Et voilà comment le comte un jour, il y a deux mois, trouva le voyageur au nid.

« Il paraît que cette réunion avait été des plus tendres et l’explication d’abord des plus vives, car le comte aperçut d’une part de beaux yeux tout en pleurs et d’autre part de moins beaux yeux tout en flamme. Ne croyez point qu’il se fâcha. C’est un parfait gentilhomme. A cette vue, au contraire, il sent tout de suite sa générosité qui s’éveille, d’autant que le lien de fleurs qu’il portait’ depuis quatre ans menaçait fort de se métamorphoser en une bonne chaîne de plomb et de fer. L’occasion était belle d’éviter cette métamorphose. Que pensez-vous donc que le comte ait fait contre ces deux amans qui, s’ils ne le trahissaient pas encore, s’y montraient du moins disposés nettement ? 11 en a tiré la plus honnête vengeance du monde ; il les marie. C’est une piquante aventure. Le comte n’a-t-il pas ainsi prouvé que les financiers ont du cœur et même l’esprit du cœur ! ))

— Ces calomnies ne sont pas signées, dit froidement Julien en jetant le journal à terre.

— N’importe ! repartit Horace Raison. Il ne faut point chercher qui a écrit cela, mais qui l’a fait écrire. C’est le comte Lallia. Ami, nous devons nous expliquer brièvement, car ici tous les mots brûlent. Je connais cet homme. Je savais que tu pouvais sûrement attendre de lui quelque venimeuse revanche. Je t’eusse averti, si je l’avais osé ; mais, n’ayant point le courage de parler, je veillais. Quelques allusions imprudentes m’ont ce matin inspiré je ne sais quel soupçon. J’ai couru à l’officine où se fabriquent ces misères ; je ne m’étais pas trompé. J’ai acheté toute l’édition de cette gazette qui devait paraître demain, je l’ai détruite ; j’ai acheté la conscience même de l’imprimeur, qui, en me la livrant, a trahi son client, et qui subira un procès. Il t’en coûtera dix mille écus.

— Merci, dit Julien.