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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/822

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de son cœur, il lui avait dit en souriant : Tu ne te tueras qu’après. Maintenant cela ressemblait à une prédiction. Et combien elle avait été faite à la légère ! Le malheureux avait pu la prendre pour un conseil.

Ainsi nul ne savait où il était. C’est pourquoi Horace Raison, dans la première ardeur de ses alarmes , résolut , sans perdre une minute, de se mettre à sa poursuite, afin de l’arracher à lui-même, s’il en était encore temps. Toute une journée s’usa dans de vaines recherches, et le lendemain Horace, avec la rigueur ordinaire de son sens pratique, jugea qu’elles étaient puériles. Est-ce qu’un homme inconnu de tous, dans l’immensité de Paris, n’est pas sûr, quand il le veut, de se rendre introuvable, qu’il se cache dans la mort ou dans la vie ? Mais il vint une idée consolante à Horace Raison : c’est que, le connaissant pour ce qu’il valait, le tenant pour un vrai sage, son ancien camarade d’enfance ne pouvait lui avoir fait l’injure de se tuer sans lui demander son avis. Rien n’était plus sérieux que ce raisonnement chez Horace, et il lui parut bien, au bout de trois jours, qu’il ne s’était pas trompé : Julien vivait et le fit mander. 11 s’était choisi un logis si distant du centre de la ville qu’on eût dit qu’il avait commencé son voyage et fait déjà sa première étape. Ce qui frappa surtout Horace Raison quand il approcha des lieux désignés, ce fut que ce logis, qui était un hôtel meublé, confinait à un cimetière. Ce cimetière, il le connaissait. On le conduisit à la chambre du nouvel hôte : Julien était assis au coin du foyer. Horace faillit tomber à la renverse en voyant qu’il tenait le plus paisiblement du monde un journal dans ses mains. Il n’y avait rien de changé sur son visage... Ni désordre ni pâleur. Ce qu’il y avait dans l’âme, — Horace s’en convainquit à l’instant, — n’était pas aisé à découvrir ; l’éclat de deux yeux brillant d’une fièvre sans relâche arrêtait les curiosités au passage. Julien indiqua du doigt à son ami un fauteuil à l’angle opposé de la cheminée. Tous deux gardèrent d’abord le silence. Horace Raison observait ; il se croyait observé de même. Bientôt il vit qu’il n’en était rien : les regards de Julien étaient retournés au journal avec une fixité et une expression d’avidité indéfinissables. A la couleur jaune du papier, Horace s’aperçut que l’impression devait remonter à une époque assez lointaine ; il lut même sournoisement, à distance, le titre et la date : du moins ce n’était pas la gazette banale que tout le monde lit le soir en sommeillant au coin du feu ; Julien n’était pas si bien guéri.

— Eh bien ! dit Horace, que cette nouvelle énigme ne laissait pas que d’impatienter un peu, ne partons-nous pas pour Florence ? Julien frémit. Si le curieux Horace n’avait voulu que le réveiller