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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/831

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LA BAGUE D’ARGENT.

cœur prêt à se fondre, et pourtant il croyait bien s’être préparé d’avance à ce qui allait arriver. Ému d’une pitié immense, oubliant qu’il avait affaire à un homme la veille encore aussi fort que lui, il prit Julien dans ses bras comme un enfant ; mais celui-ci se dégagea, et lui fit entendre par un signe qu’il désirait rester là seul un moment. Horace obéit et s’éloigna.

Lorsqu’il revint, Julien était accoudé sur la grille. Horace alla s’y accouder de même, et ils restèrent ainsi longtemps muets tous les deux, les yeux sur cette tombe.

— Pauvre enfant ! dit Julien, toi seule au monde m’as aimé. Ce n’était pas ma destinée que de me trouver heureux d’un pareil amour. Telle je t’ai connue autrefois, telle tu dois être encore dans l’autre vie, loyale et bonne. Ta voix, j’en suis sûr, s’il lui avait été permis de sortir du fond de cette tombe, se serait élevée pour m’avertir et me défendre, quand, avec celle qui n’a jamais su que trahir, je suis venu fouler ta cendre fidèle. C’est Dieu qui a voulu te placer ici dans la mort. Là où j’ai commencé de boire le poison que me préparait l’enchanteresse, là je retrouve la main qui me versait naguère une eau pure où je ne voyais point qu’il y avait des perles !...

— Pauvre fille ! pensait Horace, comme je t’ai méconnue ! Qui donc aurait jamais soupçonné tout ce sentiment-là dans le fond de ton cœur ? Ah ! c’était le coin du premier amant, perfide Jeannette, et nous devions nous contenter du reste de la maison. Ainsi cette bague que je te grondais de porter était un talisman et une relique. Combien de fois ne te l’ai-je pas arrachée ! mais tu me la reprenais toujours. Tu l’as si bien prise et reprise qu’il a fallu te la laisser au doigt quand tu as fait la folie de mourir. Ma mie Jeannette, quand je songe que tu gardais sérieusement des souvenirs d’amour ! Je ne sais pourtant si je dois y croire. Comme tu nous cachais bien cela ! Ta gaîté n’en souffrait point. Et quelle gaîté, qui ne se lassait jamais ! Je t’ai rencontrée dans une fête, moi qui ne vais guère aux fêtes, et tu m’as charmé tout de suite, parce que je n’y ai vu que toi qui riais sans effort. Tu as été la cause ensuite qu’on s’est bien souvent moqué de ton vieil amant de trente ans. Parfois on me disait qu’une maîtresse si libre et si rieuse était le bien d’un garçon de vingt ans, et que je causais un dommage à la jeunesse ; mais tu amusais si fort mes amis, sans compter moi-même. Oh ! Jeanne, qui m’aurait dit que vous entreteniez une chapelle ardente dans votre âme ? Quel dommage néanmoins que vous ne soyez plus parmi nous ! car, n’ayant jamais fait de mal, vous pourriez maintenant faire beaucoup de bien. Il vous revenait enfin tout brisé, celui que vous aimiez et pleuriez en cachette, si toutefois l’amour vous faisait pleurer. Je ne lui aurais envié ni cette étonnante fidélité, ni ces