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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/835

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nous n’aurons pas de peine à les retrouver dans les copies, bonnes ou mauvaises. Si nous recourons en outre aux récits que les étrangers faisaient eux-mêmes de notre propre histoire, à la peinture qu’ils traçaient de nos mœurs, soit dans leurs correspondances entre eux, soit dans leurs livres, alors qu’ils admiraient et voulaient s’approprier notre éclat, nous obtenons une image nouvelle de la France, image le plus souvent sincère, et qui peut servir à compléter ou à rectifier même celle que nous connaissons déjà. Les peintres se servent volontiers, quand leur œuvre s’achève, d’un miroir qui la reflète en l’isolant et en modifiant son aspect. Grâce à l’intervention de ce milieu factice qui ne trouble pas les rapports intimes, l’ensemble du dessin et l’harmonie de la couleur ne sont plus voilés, et tout le relief apparaît. C’est une pareille expérience que j’ai voulu tenter : j’ai interrogé la Suède du temps de Gustave III, qui nous peut servir, à certains égards, de miroir ; je lui ai demandé sous quels traits la France de Louis XV et de Louis XVI lui est apparue, et je me suis efforcé de reproduire fidèlement cette image.

On ne me blâmera pas d’avoir choisi cette période de notre histoire : elle nous tient au cœur. La seconde moitié du XVIIIe siècle est dans nos souvenirs une heure à la fois terrible et charmante, mêlée de contrastes inouïs. Elle est séparée de notre temps par une transformation prodigieuse, il est vrai, mais non par un abîme où se soient perdus toutes les influences et tous les courans : quand on l’étudie, la solidarité qui l’unit à notre XIXe siècle reparaît ; en face des problèmes qui nous agitent à notre tour, cette heure agitée et féconde nous réserve encore des enseignemens. Nous sommes loin cependant de la bien connaître : plus d’une des personnes qui feront figure ici pour avoir honoré la France de leur temps sont à peine nommées dans les livres, et tel mouvement d’opinion qui intéresse au plus haut degré l’histoire de notre ancienne monarchie nous apparaîtra dans un ensemble que le petit nombre de détails jusqu’à présent publiés ne laissait pas soupçonner. Un pieux devoir et un pressant intérêt sont donc à la fois engagés dans cette étude.

Mes principales sources ont été l’immense collection manuscrite des papiers de Gustave III que possède la bibliothèque de l’université d’Upsal, les correspondances diplomatiques et les nombreux mémoires imprimés que la littérature suédoise a produits. Les papiers de Gustave III forment 64 volumes in-folio et 55 in-quarto ; avec beaucoup de minutes écrites de sa main, on y trouve l’innombrable série des lettres qui lui étaient adressées. C’est une source presque entièrement française, d’une authenticité incontestable, d’une variété infinie. Quant aux correspondances diplomatiques, très attentives et très développées dans un temps de relations très