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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/868

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Amérique. Ce contre-courant est une sorte de grande voie ouverte aux marins vers la Polynésie, et cela d’autant plus qu’elle est placée dans la région du Cloud-ring.

On le voit, en faisant mieux connaître les grands mouvemens de l’atmosphère et des mers dans ces régions lointaines, la science moderne a jeté sur l’ethnologie de ces contrées un jour tout nouveau. Grâce à elle, s’évanouissent à peu près tous ces prétendus obstacles qui avaient dû, disait-on, empêcher tout peuplement procédant de l’ouest à l’est. Bien loin d’être impossible, ce mode de peuplement se trouve facilité par les conditions que lui fait la physique générale du globe. Et encore n’avons-nous parlé jusqu’ici que des phénomènes généraux en les considérant comme réguliers. Or la régularité, même des alizés et des moussons, n’est rien moins qu’absolue ; comme toutes les mers d’ailleurs, le Pacifique et les mers qui s’y rattachent ont leurs coups de vent, leurs tempêtes, leurs ouragans qui soufflent dans toutes les directions. Que de navigateurs ont dû être surpris par ces accidens de mer et portés au loin en tout sens ! Beaucoup sans doute ont péri ; mais dans cet océan parsemé d’îles et d’archipels il était inévitable qu’un certain nombre échappé au naufrage pût aborder sur quelques-unes des terres encore désertes où se trouvent aujourd’hui leurs descendans. Au peuplement par migration, qu’on peut supposer toujours plus ou moins volontaire, a dû nécessairement s’ajouter dans le Pacifique un peuplement par dissémination accidentel et involontaire, et celui-ci n’a peut-être pas joué un rôle moins important que le premier.

En résumé, non-seulement l’envahissement de l’Océanie en général, de la Polynésie en particulier, par des populations venant de l’Asie n’est pas impossible, comme on l’a dit, mais encore il est facile et presque inévitable, à la seule condition que sur les frontières de ces régions se trouve une population active, aventureuse et familiarisée avec la mer. Lors même que le marin sorti d’un tel peuple serait dépourvu de presque tout ce qui semble aujourd’hui nécessaire à la navigation, il ne craindra pas de perdre de vue ses côtes natales, car ces côtes fourmillent d’archipels, et il espérera toujours rencontrer quelque île, quelque terre en allant droit devant lui, avec les étoiles pour boussole[1]. Peut-être sera-t-il ainsi entraîné plus loin qu’il ne l’eût voulu, peut-être se trompera-t-il de direction, peut-être périra-t-il dans cette immensité qu’il ne soupçonnait pas ; mais s’il rencontre quelqu’une de ces terres semées là

  1. Telle est en effet la pratique habituelle des Polynésiens, des Micronésiens, quand ils se trouvent égarés en mer.