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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/904

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soin par ordre du gouvernement français, ne comprend que trente-quatre générations, représentant mille vingt années, et reporterait l’avènement de cette dynastie vers le milieu du IIe siècle de notre ère. Peut-être cependant mérite-t-elle un reproche opposé à celui que M. Hale adresse évidemment avec raison aux généalogies hawaiiennes. On n’y voit figurer aucune de ces divinités locales qui sont certainement d’anciens chefs déifiés, et il serait bien étrange que la tradition tahitienne commençât d’emblée aux temps franchement historiques. Les recherches d’Ellis, en restituant au dieu Oro son vrai caractère, autorisent à croire qu’un certain nombre de générations humaines sont passées dans la mythologie ; mais probablement l’indigène nouvellement converti chargé de recueillir ces documens précieux aura sacrifié les temps héroïques de sa patrie, il aura enlevé un certain nombre d’hommes de la liste royale, de crainte d’y faire figurer quelques faux dieux[1]. Ce n’est d’ailleurs là qu’une conjecture que vérifiera, j’espère, quelque émule de sir George Grey ; mais, fût-elle fondée, rien n’autorise à penser qu’elle dût faire remonter les origines tahitiennes jusqu’à la haute antiquité que leur assigne M. Hale. Deux ou trois siècles de plus seraient, je pense, tout ce qu’on devrait ajouter au chiffre indiqué plus haut, et cette addition ne nous conduirait, on le voit, que dans le IIe siècle avant notre ère. En résumé, non-seulement les Polynésiens n’ont point été créés

    cosmogonique, traduit par M. Gaussin (le Tour du Monde), donne sur la création d’Havaii, considérée comme la première terre créée, des détails un peu différens de ceux que renferme le poème recueilli par M. Moerenhout. — Il est bien désirable que quelqu’un de nos résidans à Tahiti continue cette œuvre déjà si bien commencée, et que cet archipel, un des centres secondaires les plus importans de la Polynésie, ait ses historiens comme la Nouvelle-Zélande a eu les siens. Espérons que M. Gaussin en attendant ne laissera pas périr ce qui a été déjà recueilli, et qu’il en publiera le texte et la traduction, comme l’a fait M. Remy pour les Sandwich.

  1. Tous les documens dont il s’agit ici ont été recueillis par un Tahitien nommé Maré, à qui son intelligence avait valu d’être élevé aux fonctions d’orateur ou de commissaire du gouvernement de Tahiti. Maré avait embrassé le christianisme et écrivait sous l’influence des idées puisées auprès des missionnaires. Or, il faut bien le dire, ces idées accusent trop souvent une tendance fort peu scientifique. Un des premiers soins des missionnaires de toutes les communions est d’inspirer aux indigènes le mépris de leurs anciennes croyances, et chez ces peuples, où l’histoire et la religion se touchaient par tant de points, le résultat de cette tendance générale est de faire dédaigner par les maîtres aussi bien que par les élèves des traditions dont l’importance serait des plus grandes. Là est certainement une des causes principales de la difficulté croissante qu’on éprouve à recueillir des souvenirs naguère encore religieusement et très exactement conservés. À l’appui de ce que j’avance, je pourrais citer bien des passages empruntés à l’Histoire de l’Archipel havaiien, rédigée par les indigènes, aussi bien qu’aux Lettres sur les îles Marquises, ouvrage fort intéressant d’ailleurs que nous devons au père Mathias. Il est vivement à désirer que les missionnaires comprennent mieux à l’avenir qu’on peut, en pareille matière, être utile à la fois à la science et aux idées dont ils sont les représentans.