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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/955

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De tels faits démontrent, d’après M. Spencer, que la loi de la métamorphose, qui s’applique à toutes les forces physiques, unit aussi ces dernières aux forces mentales. On souscrira difficilement à cette conclusion hâtive tant qu’elle ne sera point appuyée de preuves plus convaincantes que celles qui viennent d’être énumérées. Si tant de physiologistes hésitent à ranger la force vitale au même niveau que les forces physico-chimiques, l’hésitation n’est-elle pas plus légitime encore, s’il s’agit d’y placer aussi cette puissance mystérieuse qui fait notre grandeur et notre dignité ? Comment une force qui engendre d’abord ou un mouvement visible, ou de la lumière, ou de la chaleur, peut-elle, le moment d’après, devenir un mode de la conscience ? M. Spencer déclare en vain que la transformation d’une force physique en une autre force physique est un mystère tout aussi profond que la transformation d’une force physique en énergie mentale. Il a beau assurer qu’entre un mouvement matériel quelconque et la cause qui le produit il y a un abîme aussi obscur qu’entre le mouvement cérébral et l’intelligence : on ne peut se contenter de tels argumens, qui sont d’un ordre tout négatif ; on recule involontairement devant l’assimilation la plus lointaine du phénomène subtil et transcendant de la pensée aux phénomènes grossiers du monde matériel.

Dans l’ordre des derniers, les mouvemens s’engendrent, se succèdent suivant des règles invariables ; nous ne pouvons comprendre, cela est vrai, comment se fait la métamorphose, mais nous la voyons s’accomplir sans cesse de la même manière et pouvons en suivre toutes les phases. Dès qu’on s’aventure au contraire dans le domaine des forces vitales, la spontanéité apparaît, les mouvemens deviennent plus imprévus, plus capricieux. Enfin, que l’on s’élève encore, que l’on se place dans le monde de l’esprit, on ne découvre plus aucun rapport mesurable entre les effets et les causes que la science invoque. Si, comme on l’assure, la pensée n’était qu’un mouvement cérébral, il faudrait donc que certaines modifications dans le mouvement des atomes constituans du cerveau rendissent compte de l’infinie variété de nos conceptions. Les atomes vibreraient d’une certaine manière pour le concret, d’une autre manière pour l’abstrait. Dans la lourde et osseuse prison qui les enserre, leur activité devrait suffire aux caprices des imaginations les plus-fougueuses, se plier aux besoins les plus vulgaires de l’animalité comme aux transports les plus sublimes de l’esprit poétique et religieux. Combien de fois, regardant un cerveau humain et suivant les plis onduleux de cette masse blanchâtre finement striée par les roses filets du sang, n’avons-nous point paraphrasé la triste apostrophe d’Hamlet au pauvre Yorick ! Eh quoi ! ce serait donc là toute la