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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/574

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la province d’Avellino, promettant le pillage aux vainqueurs, l’incendie aux vaincus. Le général porta au brigandage par quelques actes énergiques un coup décisif. Il lui enleva son caractère politique, et depuis sa lieutenance aucune bande indigène ne put passer aux yeux des hommes de bonne foi pour une troupe d’insurgés. Les comités bourboniens ne siégeaient plus que pour la forme, et ne servaient qu’à inquiéter la police italienne. Ils sont demeurés sans doute en rapport avec quelques chefs, notamment avec Crocco[1], mais ils ne peuvent ni les arrêter ni les conduire : ils les poussent au feu, voilà tout.

Le commandement du général La Marmora fut inauguré, comme celui de Cialdini, par de brillans résultats. La formidable bande de Borjès et de Crocco fut détruite. On pouvait croire le brigandage vaincu, et il ne tarda cependant pas à reparaître en 1862 avec une sorte de plan concerté. Il paraît certain qu’un débarquement de bourboniens recrutés à Malte ou à Trieste devait s’opérer sur les côtes de la Basilicate, où le Basente et l’Agri se jettent dans le golfe de Tarente. Crocco et Cavalcante avaient donné rendez-vous à toutes leurs forces, disséminées pendant l’hiver, dans le grand bois de Policoro, qui s’allonge et s’épaissit non loin du rivage. Le premier de ces chefs, le généralissime, quittant sa résidence habituelle, s’avança jusqu’à la campagne San-Basile, sur la rive gauche du Basente, à quatre milles des côtes; on le vit plusieurs fois, sa lunette à la main, interroger la mer. Trompé dans son attente et chassé par les troupes, il rôda quelque temps entre l’Agri et le Basente, puis se jeta dans les Pouilles, qui furent le champ de bataille du brigandage en 1862. Au mois de juin, Coppa, Ninco-Nanco, Caruso, étaient en Capitanate, et ravageaient ces vastes plaines qu’ils parcouraient à cheval. Ils y commirent des atrocités sans nom, mais ils prouvèrent par ces excès mêmes et par l’inexplicable caprice de leurs mouvemens que le brigandage avait tout à

  1. On a trouvé dans les papiers de Crocco une correspondance curieuse, entre autres la lettre que voici : « Très respectable monsieur le général, après vous avoir chèrement embrassé, je viens en peu de lignes vous faire part de ce qui suit. Les affaires de la cause à laquelle nous appartenons tous en travaillant pour notre auguste roi François II, que Dieu garde, ont été déjà décidées par les puissances du Nord, et François II a été reconnu comme roi des Deux-Siciles. Le motif pour lequel nous ne l’avons pas encore vu revenir est que précisément on attend la chute de Napoléon dans le Mexique et la révolution populaire en France. Tout ce qui se fera de beau en notre faveur sous d’autres signes (?) vous sera connu; je vous en tiendrai au courant de Naples, où je vais. Je partirai mardi, s’il plaît à Dieu, sans quoi j’aurais fait mon devoir en allant vous embrasser et vous parler de vive voix; mais en attendant vous pouvez pleinement disposer de moi et de ma maison à Naples, et ne craignez rien, car ici sont les vrais hommes et les vrais amis. — J’attends vos ordres précieux, et, vous embrassant et vous serrant contre mon cœur, je signe votre serviteur, Gaetano Clémente. »