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petits ou grands, arides ou fertiles, se laissent volontiers aller à cet inoffensif accès de vanité patriotique. Le voyage était lent ; les Esquimaux, les plus insoucians des hommes, sont aussi les moins propres à un travail régulier. Le moindre gibier qui paraît à l’horizon, ours ou veau marin, renne ou canard sauvage, était un prétexte à des détours infinis ou un motif d’arrêt pendant des journées entières. Néanmoins la petite expédition se trouvait à la fin d’août au fond de la baie de Frobisher, dans un pays ravissant, dont la végétation luxuriante semblait un phénomène au milieu des côtes habituellement arides des autres régions polaires. Peut-être faut-il faire la part du contraste qui devait frapper un voyageur retrouvant des plaines verdoyantes après un an de séjour au milieu des glaces et des neiges. Il paraît probable toutefois que le court été du pôle fait sortir de terre une foule de fleurs, d’herbes et de saules microscopiques qui acquièrent en peu de jours tout leur développement. N’était l’absence complète d’arbres et d’arbustes, on se croirait presque dans les plaines les plus fertiles de la zone tempérée. A part quelques familles nomades qui traînent leur tente de l’un à l’autre rivage au gré de leur caprice ou de leurs besoins, les seuls habitans de ces contrées sont les troupeaux de rennes qui y vivent d’une vie plantureuse et se montrent familiers comme des bêtes qui n’ont jamais été poursuivies, puis des lapins qui se retirent dans leurs terriers pendant la saison d’hiver, des ours et même des loups qui vivent aux dépens des autres animaux terrestres ou amphibies. Les rivières sont même peuplées de saumons, comme si tout ce qui est nécessaire à l’homme devait se trouver réuni là, sauf les céréales, que le soleil, trop avare de ses rayons, ne pourrait faire mûrir. Les Esquimaux appréciaient peu cette abondance de biens ; pour eux, le fond de l’alimentation est la chair du veau marin dont ils ne se lassent jamais, le reste n’ayant d’autre utilité que de varier un peu leur régime habituel. Cette excursion était seulement une magnifique occasion de chasse dont ils profitaient pour s’approvisionner de peaux de rennes en prévision de l’hiver ; les fourrures de ces bêtes sont, à leur avis, beaucoup plus belles et plus chaudes lorsqu’on les tue au milieu de la belle saison.

Quant aux traces de l’expédition que Frobisher avait dirigée vers ces parages dans le cours du XVIe siècle, M. Hall n’eut pas de peine à découvrir en deux ou trois îles voisines des preuves évidentes du séjour des Européens. Les indigènes qui avaient demeuré quelquefois dans ces îles se rappelaient tous y avoir trouvé du charbon de terre, dont ils ne savaient pas d’ailleurs faire usage pour la cuisson de leurs alimens, puis des fragmens de brique, dont les femmes se servaient pour polir les ornemens de cuivre qu’elles portent sur la