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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/189

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après avoir vu échouer ses plans de réforme commerciale devant les chambres, le gouvernement impérial trouvait dans la prérogative du souverain, en matière de traités, le moyen de les réaliser indirectement. Cette prérogative, en vertu de laquelle fut conclu le traité de commerce de 1860 avec l’Angleterre, peut être considérée comme le glaive qui coupa le nœud gordien. En supprimant à l’égard de l’Angleterre les prohibitions et les taxes exagérées du tarif français, le traité accomplissait en réalité la réforme commerciale. Celle-ci appartient donc à l’histoire de la diplomatie, qui, après avoir commencé l’œuvre, devait être chargée de la poursuivre et de l’étendre.

On se souvient de l’effet que produisit en France l’annonce du traité de 1860. Aux yeux des manufacturiers, cet acte de paix, de progrès et de travail apparut d’abord comme une déclaration de guerre. La concurrence, la terrible concurrence allait décidément traverser la Manche, opérer son débarquement sur nos côtes désarmées et anéantir l’industrie française. Les appréhensions et les déclamations qui avaient accueilli le traité de 1786 s’exprimaient de nouveau avec une égale passion et dans le même langage. Disons tout de suite que l’événement n’a pas tardé à dissiper ces craintes, et que le résultat de la lutte engagée entre la France et l’Angleterre sur le terrain industriel a pleinement justifié l’assurance avec laquelle les économistes affirmaient leurs principes, ainsi que la confiance du gouvernement dans la vitalité de notre industrie ; mais, indépendamment de l’émotion répandue parmi les fabricans français, le traité exerça une action immédiate sur la politique commerciale du continent. Les peuples voisins avec lesquels nous entretenions les relations les plus anciennes et les plus suivies ne pouvaient se dissimuler que les concessions récemment échangées entre la France et l’Angleterre allaient modifier les conditions du commerce européen. On devait prévoir que les produits britanniques admis sur le marché français avec un régime de faveur y prendraient une place prépondérante au détriment des produits similaires étrangers ; en même temps il était certain que l’Angleterre, multipliant ses ventes en France, y multiplierait en même temps ses achats, et que dès lors elle retirerait aux autres pays une partie de sa clientèle. Il s’agissait pour ces peuples non-seulement de solliciter le bénéfice des dégrévemens accordés en France à leurs concurrens anglais, mais encore de conserver en Angleterre, comme en France, la situation que leur industrie y avait acquise. Ce double résultat ne pouvait être atteint que par le consentement du gouvernement français, qui, demeuré maître de ses tarifs, avait la faculté de les abaisser à son gré, selon les concessions qu’il obtiendrait en retour. Aussi les négociations ne tardèrent-elles pas à