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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/275

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C’est par ses manifestes tendances vers le mysticisme que Miceli se laisse entraîner au panthéisme. Tout ce qui a été créé ne lui paraissait rien auprès de Dieu ; il croyait que donner une substance aux choses ce serait en faire des êtres existant par eux-mêmes, et il se confirmait dans ses idées en relisant l’Écriture, les pères, les docteurs, les théologiens, pour qui les choses créées sont en face de Dieu comme si elles n’étaient pas, des ombres fugitives qui se dissipent comme des songes. C’est pourquoi il les appelait phénomènes, modes, jeux de la Toute-Puissance, disant et répétant qu’il n’y avait rien de réel que la Trinité. Ce qui est de la nature est dans la Toute-Puissance, ce qui est hors de la nature est dans la Sagesse et la Charité. Il semble que ce soit bien là le panthéisme. On essaie pourtant de soutenir que Miceli n’est pas tombé dans cette doctrine ; on dit qu’elle consiste à considérer Dieu comme étant tout, tandis que le philosophe sicilien soutient seulement que tout est en Dieu, Saint Paul n’a-t-il pas dit : In Deo vivimus, movemur et sumus ? Pour Schelling et pour Lamennais, au temps de sa farouche orthodoxie, la nature est-elle autre chose que l’ombre de Dieu jetée dans le temps et dans l’espace et se dilatant sans fin ?

Nous n’entreprendrons pas ici, on le croit sans peine, de mesurer l’épaisseur du cheveu qui sépare le panthéisme de l’orthodoxie ainsi entendue, nous ne chercherons même pas à deviner ce que veut dire M. di Giovanni quand il déclare que si le panthéisme de l’Allemagne rappelle celui de l’Orient, le panthéisme de la France et de l’Italie sait se tenir à un Dieu personnel et intelligent. C’est sans doute cette alliance d’idées si opposées que poursuit et prétend soutenir une école toute moderne qui donne à ses adeptes le nom peut-être exact, mais dans tous les cas énigmatique pour la plupart des hommes, de panthéistes chrétiens. M. di Giovanni ne parvient pas à nous faire comprendre ce qui nous paraît si obscur, ou, pour mieux dire, il ne l’entreprend guère. Sauf quelques affirmations vagues comme celles qu’on vient de voir, il se borne à déclarer que Miceli est tout ensemble panthéiste et catholique, philosophe hardi qui ne recule pas devant les témérités de Bruno, et croyant zélé au point de méconnaître dans le mariage le contrat civil et de n’y voir qu’un sacrement. Nous sommes persuadé que la congrégation de l’Index trouverait dans les opinions du penseur sicilien pour le moins autant d’hérésies philosophiques qu’on trouve d’hérésies politiques condamnées dans le fameux syllabus dont le pape Pie IX a fait suivre sa dernière encyclique ; mais ce n’est point là notre sujet.

Ce qui aurait dû éveiller l’attention de Miceli sur l’impossibilité de concilier son panthéisme avec la foi catholique, ou simplement avec la doctrine de la personnalité humaine, c’est qu’il ne put pas ou ne voulut pas, dans son ouvrage sur le droit naturel, être conséquent à ses doctrines. Comme il avait l’âme sensible, au lieu d’appliquer à cet ordre d’idées sa théorie d’un être unique, dieu à l’intérieur, monde visible à l’extérieur, il