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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/281

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de poing commencent. L’homme crie au secours, les gens du quartier arrivent, un apprenti enfonce son couteau par derrière dans le corps du premier soldat français, qui tombe sans faire un mouvement. Ce soldat avait une force et une structure d’hercule ; mais le coup avait été si juste que le cœur était traversé. — Deux autres soldats dans la campagne entrent dans un enclos, volent des figues, se sauvent ; le propriétaire, ne pouvant les attraper, leur tire deux coups de fusil, tue l’un, casse la jambe à l’autre, — Ce sont de vrais sauvages ; ils croient pouvoir à toute occasion rentrer dans le droit de guerre et en user jusqu’au bout.

Notre ami N… a essayé dans son village d’abolir quelques pratiques cruelles. On y tue un bœuf ou une vache par semaine ; mais, avant d’expédier la malheureuse bête, on la livre aux enfans, aux jeunes gens, qui lui crèvent les yeux, lui mettent le feu sous le ventre, lui coupent la langue, la déchiquettent et la martyrisent : c’est pour se donner le plaisir de la voir furieuse ; ils aiment les émotions fortes. N… tâche de les dissuader, va trouver le curé, s’adresse à tout le monde. Pour les prendre au vif, il leur donnait des raisons positives : « La viande, ainsi échauffée, ne sera pas bonne. — Qu’est-ce que cela nous fait ? Nous sommes trop pauvres, nous n’en mangeons pas. » Un jour il rencontre un paysan qui rouait son âne de coups ; il lui dit : « Laisse donc tranquille cette pauvre bête. » Le paysan répond avec le scherzo, l’âpre et dure plaisanterie romaine : « Je ne savais pas que mon âne eût des parens dans ce village. » Ce sont là les effets du tempérament bilieux, des passions acres excitées par le climat, de l’énergie barbare qui n’a pas d’emploi.

La marquise de C… nous dit qu’elle n’habite pas sa terre, on y est trop seul, et les paysans y sont trop méchans, je me fais répéter ce mot, elle y insiste, et son mari de même. Tel cordonnier a tué son camarade d’un coup de couteau dans le dos, et après un an de galères est revenu au village, où il prospère. Un autre a tué à coups de pied sa femme enceinte. — On les condamne aux galères, parfois pour cent cinquante ans ; mais plusieurs fois par an le pape accorde des réductions de peine : si on a quelque protecteur, on en est quitte, après un meurtre, pour deux ou trois années de bagne. On n’est point trop mal au bagne ; on y apprend un métier, et quand on revient au village, on n’est point déshonoré ; même on est redouté, ce qui est toujours utile.

Je cite en regard deux traits qu’on me contait sur la frontière d’Espagne. Dans un combat de taureaux, une jolie dame espagnole voit à côté d’elle une Française qui met ses mains devant les yeux à l’aspect d’un cheval éventré qui marchait dans ses entrailles. Elle hausse les épaules et dit ; « Cœur-de beurre ! » — Un réfugié espagnol