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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/285

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habitudes. À son dernier voyage, le pape a été acclamé, on s’étouffait autour de sa voiture ; il est vieux, sa figure est bienveillante et belle, il produit sur ces âmes incultes et ardentes le même effet qu’une statue de saint : sa personne, ses habits leur semblent pleins de pardons ; ils veulent le toucher, comme ils font pour la statue de saint Pierre. D’ailleurs le gouvernement ne pèse pas sur eux, du moins visiblement ; toutes les rigueurs sont pour les classes intelligentes ; l’adversaire est l’homme qui lit où qui a été à l’université ; on épargne les autres. Sans doute un paysan peut être mis en prison pendant huit jours pour avoir fait gras un jour maigre ; mais, comme il est superstitieux, il n’a pas envie de manquer aux rites. Il est obligé d’avoir son billet de confession, mais il n’a pas de répugnance à conter de nouveau vivement et violemment ses affaires dans une boîte de bois noir ; d’ailleurs à la ville il y a des gens qui font métier de se confesser et de communier : ils se procurent ainsi des billets qu’ils vendent deux pauls. En outre l’impôt direct est léger, les droits féodaux ont été abolis par le cardinal Consalvi ; il n’y a pas de conscription ; la police, fort négligente, tolère les petites contraventions, le laisser-aller des rues. Si on donne un coup de couteau à son ennemi, on est vite gracié, et l’on n’a point à craindre l’échafaud, chose irrémédiable, horrible pour des imaginations méridionales. Enfin toute l’année la chasse est permise, le port d’armes ne coûte presque rien ; nulle terre n’est réservée, sauf celles qui sont enceintes de murs. Il est bien commode de faire ce que l’on veut à la seule condition de ne pas raisonner sur la chose politique, dont on ne se soucie pas et à laquelle on n’entend rien. Aussi, depuis l’entrée des Piémontais, trouve-t-on beaucoup de mécontens parmi les paysans de la Romagne ; la conscription leur semble dure, l’impôt est plus fort ; ils sont gênés par quantité de règlemens : par exemple, on leur défend de sécher leur linge dans les rues, on les assujettit à la police exacte et aux charges des pays d’outre-monts. La vie moderne exige un travail assidu, des sacrifices nombreux, une attention active, une invention incessante ; il faut vouloir, faire effort, s’enrichir, s’instruire et entreprendre. Une transformation comme celle-ci ne se fait point sans tiraillemens ni répugnances. Croyez-vous qu’un homme couché depuis dix ans, même dans des draps sales et pleins de vermine, se trouve content, si tout d’un coup on le remet debout, si on l’oblige à se servir de ses jambes ? Il ne manquera pas de murmurer, il regrettera son inertie, il voudra se recoucher, il sera eu peine de ses membres ; mais donnez-lui du temps, faites-lui goûter le plaisir de se remuer, d’avoir du linge propre, de boucher les trous de son taudis, d’y mettre des meubles acquis par son travail, et sur lesquels personne, ni voisin, ni fonctionnaire,